Vivre le Portugal est parti à la recherche du maître du camouflage de la mer. Une des prises favorites des portugais depuis toujours, le poulpe est au menu depuis des siècles.
Texte et photos Sara Alves
Existant depuis plus de 300 millions d’années, le poulpe est l’une des espèces animales les plus anciennes, même antérieures aux dinosaures. Il y a plus de trois cents espèces identifiées, dont la plupart des invertébrés.
Ils ont environ 500 millions de neurones dans leur cerveau, des tentacules, trois coeurs et du sang bleu. Leur corps souple et doux peut prendre les formes les plus variées et se camoufler, il est si malléable qu’il peut se cacher ou se faufiler dans le plus petit des orifices pour sa survie. En plus d’imiter son environnement, se camouflant avec des motifs, couleurs et formes, le poulpe peut également libérer des jets d’encre noire, laissant ses prédateurs étourdis et aveuglés temporairement. Un autre mécanisme d’échappement impressionnant est la possibilité de détacher un de ses membres afin qu’il puisse s’échapper, et simplement régénérer un remplacement, sans causer aucun dommage.
Des études ont révélé leur intelligence. Capable d’apprendre par observation et d’utiliser des outils pour résoudre des problèmes, leur durée de vie se situe entre 18 mois et trois ans.
En captivité, ils peuvent atteindre jusqu’à un mètre et demi de longueur et atteindre un poids de 10 kilogrammes ou plus. Néanmoins, au Portugal, le poids de capture minimum est fixé à 750 grammes.
En Algarve, la toute première licence à avoir été accordée pour la capture de poulpe fut dans le village de pêcheurs de Santa Luzia, à Tavira, aussi connu comme la “capitale du poulpe de l’Algarve”. Ici l’art de la capture du poulpe a connu une longue et fructueuse histoire, et le marché du poulpe “Docapesca”, sur le front de la lagune, en est un bon exemple.
Vítor Ribeiro, 63 ans, est en charge de ce marché qui ne vend rien d’autre que du poulpe. Il explique que Santa Luzia possède 25 bateaux entièrement consacrés à la capture de poulpe. La capture est réalisée par deux méthodes: l’alcatruz (un pot d’argile que le poulpe utilise comme refuge) et le covo (un type de cage). Les bateaux de pêche, larguent une ligne principale, de quelques deux kilomètres de long, à laquelle des “bras” de cordes de deux mètres sont attachés, avec les pots ou les cages.
En moyenne, le marché reçoit trois à quatre tonnes de poulpe par jour. Ce chiffre est considéré comme faible, étant donné qu’à l’époque de son apogée, il recevait jusqu’à 10 tonnes par jour.
La capture est ensuite subdivisée en catégories de taille: T1 (plus de trois kilogrammes); T2 (entre deux et trois kilogrammes); T3 (entre un et deux kilogrammes), et T4 (entre 750 grammes et un kilogramme). Vítor Ribeiro se rappelle encore du plus grand poulpe à être passé par le marché: “Il pesait 16 kilogrammes. C’était la belle époque”, dit-il, avec nostalgie.
Nous partons à la recherche de l’un des pêcheurs les plus célèbres de Santa Luzia, “Senhor Janota”, 57 ans. Il attrape du poulpe à bord de son bateau, le Outro Janota, depuis plus de 30 ans. Il travaille avec trois autres pêcheurs, avec qui il part en mer tous les jours. L’un d’eux navigue le bateau, un autre tire les pièges, un autre prend les poulpes et un autre range les pièges. Ils utilisent environ un millier de cages covo. Il faut six heures pour les appâter – avec du maquereau, de la sardine ou du chinchard – et les larguer; le jour où nous les voyons, ils ont eu assez de temps pour attraper 140 kilogrammes. Leur zone de pêche s’étend de la ligne de démarcation à une profondeur de 200 mètres.
L’association Armalgarve Polvo a été créée en 2011 pour défendre et représenter les pêcheurs de poulpe dans la région de l’Algarve. Son président, José Agostinho, explique qu’ils représentent un tiers de tous les pêcheurs de poulpe. Au fil des ans, le nombre de bateaux a augmenté. “On estime qu’il y en a environ 500 en fonctionnement, bien que 740 licences de capture de poulpe aient été émises”, révèle José. La haute saison pour attraper le poulpe est d’octobre à juin.
Quarante pour cent des poulpes pris au Portugal sont péchés en Algarve. L’association espère atteindre l’une de ses ambitions dans un proche avenir: créer la marque et le sceau “Poulpe de l’Algarve”, pour distinguer, prouver et réserver la qualité de ce produit.
Selon Docapesca Portos e Lotas S.A., une entreprise de l’État, sous réserve de l’autorité du Ministère de la mer, le poulpe est la cinquième espèce la plus vendue sur les marchés de poisson du Portugal, après la sardine, le maquereau, le merlu et le chinchard. Les prix payés sur les marchés de poisson de l’Algarve – Lagos, Sagres, Portimão, Olhão, Quarteira, Tavira et Vila Real de Santo António – sont les plus élevés de l’ensemble du pays. José Agostinho justifie ce fait: “vu la haute qualité de la pieuvre, il ne se recroqueville pas ni ne perd de poids lors de sa cuisson. Comme notre côte est très riche et diversifiée, et les eaux dans lesquelles il vit ne sont pas si profondes, le poulpe se nourrit de crustacés, et ceci se reflète dans sa saveur exceptionnelle.”