Les azulejos fascinent ici et ailleurs ; l’artiste résidente du Six Senses Douro Valley Helena Ferreira nous en explique tous les travers.
Ils sont partout. Des façades aux sacristies, les azulejos ornent en beauté les édifices de tout le pays, parfois par pure esthétique, d’autres fois pour raconter une histoire religieuse ou sociale. Aujourd’hui les faiseurs de carreaux aux teintes bleutées se répartissent en deux catégories : les spécialistes dans la restauration d’anciens spécimens et ceux qui les créent de toute pièce. Helena Ferreira fait partie de la seconde vague et s’est spécialisée dans cette discipline en sortant du lycée. Après son baccalauréat dans le domaine des arts, son professeur de poterie, le « mestre » Carlos Morreira, lui a offert de travailler dans son atelier à Obidos, ville de naissance de Helena et haut lieu de fabrication de céramique en tout genre.
Après avoir ouvert son propre espace, voyagé en Inde, travaillé pour le laboratoire pharmaceutique Astrazeneca, puis en tant que décoratrice d’intérieur à Manchester en Angleterre, c’est au beau milieu de la Vallée du Douro qu’elle est venue s’installer pour enseigner. Depuis quelques années elle a une résidence artistique au sein du Six Senses Douro Valley où, en plus d’avoir participé à la décoration de cet hôtel 5 étoiles, elle offre la possibilité aux hôtes et autres curieux d’effectuer un workshop de fabrication d’azulejos dans son atelier très cosy, entouré de vignes.
Pour les aficionados d’Histoire, l’artiste aime à raconter les débuts des petits carreaux chers à son cœur sur la péninsule. Tenez-vous prêts, ces derniers ne sont pas portugais : « Il s’agit à la base d’une technique chinoise élaborée la dynastie Ming, qui utilisait un type de peinture fortement concentré en pigments bleus pour la réalisation des fameux vases homonymes, dont la couleur a résisté au temps qui passe. En Europe, les premiers à travailler ces teintes et cette méthode étaient les Hollandais. Si vous observez les carreaux de Delft, vous remarquerez qu’ils sont pratiquement identiques aux nôtres. C’est grâce au commerce avec les Flandres qu’ils sont arrivés sur la péninsule, d’abord en Andalousie puis au Portugal au XVIIème siècle. Avant cela, les peuples arabes et les romains les utilisaient pour carreler les maisons, pour les isoler et les aseptiser en quelque sorte : tout simplement pour marcher sur autre chose que de la terre ou du sable. Les modèles d’influences arabe étaient plus colorés que les flamands et arboraient des tons jaunes, ocres ou verts. »
Avec le temps, leur fonction a changé : « Intérieur ou extérieur, la fresque d’azulejos dépeint une histoire. Dans une église il s’agira de paraboles, dans certains palais d’une légende familiale et dans des lieux comme des gares elles prennent la fonction de « carte postale locale ». C’est le cas notamment de celle de Pinhão qui raconte les paysages, les vendanges et la vie des habitants du Douro. »
En ce qui concerne les thèmes ecclésiastiques, Helena Ferreira en connait un rayon et son expérience indienne évoquée en amont en est la preuve. En effet, en 2007 notre carreleuse professionnelle a participé à un projet colossal avec le Consulat Portugais de Goa, l’Institut Camões et la Fondation Oriente dont l’objectif était la création de fresques dans les églises de l’ancienne colonie lusitanienne : « J’ai été contactée pour effectuer la décoration complète de monuments qui dataient de la colonisation. Pour ma plus grande production, un édifice construit en 1658, j’ai utilisé 5000 carreaux et le chantier a duré neuf mois. Cette initiative a lieu dans d’autres régions où les Portugais ont pu passer, comme au Bangladesh par exemple, parce que les murs des lieux de culte catholiques étaient toujours restés blancs. J’ai monté une équipe sur place avec des professionnels qui maitrisent la technique comme au Portugal et nous avons même réalisé des œuvres pour des acteurs de Bollywood ! »
En ce qui concerne leur fabrication, bien qu’elle soit de plus en plus industrielle, les spécialistes en la matière lui préfèrent la méthode traditionnelle : « La première étape est le travail de l’argile. On la façonne en lui donnant la forme d’une plaque que l’on découpe en 4 pièces identiques et on enfourne le tout à 750 ou 850 degrés pour une première cuisson. Puis on y dépose une couche d’émail blanc que l’on va peindre en couleur avant de la remettre au four pour la cuisson finale, cette fois à 980 degrés pendant environ 5h. Pour finir, on les laisse refroidir tranquillement pendant une nuit. »
Si Helena Ferreira réalise des œuvres plutôt classiques, de grands experts nationaux en la matière conçoivent des fresques plus contemporaines. C’est le cas de l’entreprise Viuvá Lamego connue pour avoir orné certaines fameuses stations de métro de la capitale comme Parque et qui a su s’exporter, notamment en Islande dans l’aéroport de Reykjavik. Les petits carreaux bleus ont le vent en poupe et cette année l’artiste partagera son savoir-faire à Ispra dans le nord de l’Italie au cours de différents ateliers de création qui auront lieu au mois de mai. Malgré leurs origines chinoises, hollandaises, arabes ou andalouses, les azulejos restent un art portugais qui dépasse les frontières.
Johanna Trevoizan