A la redécouverte d’Olhão

Traditionnellement connu pour ses pêcheurs, le petit village de la côte algarvienne est le nouveau pôle d’attraction des artistes et des intellectuels. 

Texte Sara Alves

Olhão est à la mode. L’effervescence qui y règne en termes d’initiatives, de nouveaux projets et de business en témoigne. Les architectes, les écrivains, les peintres et les créateurs de tous bords, nationaux ou internationaux, viennent désormais chercher l’inspiration dans ce petit village de bord de mer.

Son architecture cubiste, la proximité de l’aéroport et de la Ria Formosa, son marché emblématique, l’esprit et le caractère entier de ses habitants sont quelques-uns des éléments clés qui expliquent, en partie, son attractivité et sa nouvelle popularité. Pour l’architecte Filipe Monteiro, 58 ans, le fait qu’Olhão soit un « lieu authentique, à échelle humaine, face à la mer et proche d’un aéroport international » a été décisif dans son choix d’abandonner New York pour l’Algarve, il y a treize ans. Ce dernier a vécu en France, en Chine, aux Pays-Bas et donc aux Etats-Unis. Mais sa passion pour cette station balnéaire est née, de manière inévitable, lors d’un voyage au Portugal, avec son épouse. Ils étaient seulement de passage quand ils ont décidé d’acheter « une maison dans le centre ». 

Selon cet architecte baroudeur, le phénomène artistique qui s’empare d’Olhão n’est pas inédit : « Il est né dans des villes littorales et ou des zones spécifiques aux échanges commerciaux entre la mer et la terre et vice-versa. » Avec le temps, les entrepôts ont été abandonnés pour diverses raisons. « Les artistes les ont alors occupés, légalement ou pas, parce qu’ils y ont trouvé l’endroit idéal pour produire leurs œuvres. Ils y travaillaient et y habitaient », raconte Filipe Monteiro. « Plus tard, et dans une première phase, les galeries d’art et la clientèle huppée ont commencé à prendre en compte le potentiel de ces locaux spacieux. »

Olhão est communément appelée la « cité cubiste » ; une terminologie, précise l’architecte, utilisée « pour définir la volumétrie du tissu urbain qui compose la vieille ville, avec ses maisons dotées de toitures terrasses, de belvédères et autres points de vue ». Son architecture, poursuit-il, est « typique et unique dans le pays », avec « une forte influence d’Afrique du Nord », visible dans ses « rues étroites et labyrinthiques ». Aussi, les ressortissants étrangers qui y résident manifestent une grande sensibilité à l’égard des bâtiments, dont ils veulent restaurer et préserver l’aspect.

Pour Filipe Monteiro, tout a commencé avec le « pionnier Piers de László, peintre et petit-fils du célèbre Philip de László », qui a été « engagé, directement ou indirectement, dans la sauvegarde de plus de 70 maisons. Il est devenu propriétaire de 24 d’entre elles et il a fini par attirer d’innombrables artistes, comme Antonia Williams, Edwin Hagendoorn, Justine Albronda, Jeffrey Carter, Cecilia Carter, Diederik Vermeulen, Frank Akinsete et Meinke Flesseman. »

De nos jours, l’un des lieux les plus courus par ces derniers se nomme la Re-Criativa República 14, inaugurée en avril dernier dans l’ancienne Sociedade Recreativa Olhanense. A la tête de ce projet se trouve Maria João Cabrita, une juriste liée au monde des arts, qui a voulu transformer ce bâtiment de famille en un espace culturel, qui compte déjà 333 associés. Il est possible de visiter cette « république culturelle » tous les jours, de profiter du bar et d’une programmation régulière, riche en évènements, concerts, cours de portugais pour les étrangers, yoga, danse, méditation, dessin, expositions… Maria João révèle qu’en quelques mois, le succès a été spectaculaire. « Différents artistes et intellectuels s’y réunissent. Nous espérons, d’ici peu, relancer le cinéma en plein air. » L’ancienne grande toile peut facilement être réutilisée, mais il manque encore des mécènes pour investir dans du matériel de projection pour qu’il soit de nouveau possible d’assister à des films et à des documentaires en extérieur. 

Amie commune de Filipe Monteiro et de Maria João Cabrita, la peintre hollandaise Meinke Flesseman, 52 ans, vit et travaille dans une des maisons les plus enchanteresses de la veille ville. L’artiste a grandi en Algarve, mais elle a passé une grande partie de sa vie à étudier les arts aux Pays-Bas, en Angleterre, en Italie et en Russie, jusqu’à son récent retour dans la région. Elle se souvient parfaitement de la première impression qu’elle a eue d’Olhão. « J’ai tout de suite senti que l’environnement était encore très authentique, romantique et magique. J’ai décidé immédiatement que ce serait ici que j’allais acheter ma maison, bien que je sois une personne raisonnable, qui ne prend pas de décisions à la légère, explique-t-elle. A ce moment-là, Olhão n’avait pas une très bonne réputation. D’ailleurs, ce n’est que récemment que les gens ont commencé à regarder la ville différemment. Personnellement, je n’ai jamais douté qu’elle serait la mienne. »

Meinke Flesseman a donc racheté et retapé une maison dans le quartier de Barreta, au rez-de-chaussée de laquelle elle a installé son atelier et une salle d’exposition. Sur les murs, se mélangent sans distinction des peintures colorées d’inégales dimensions aux thématiques très variées. La peintre raconte que, de manière inconsciente, son installation à Olhão a influencé ses œuvres. « Mes thèmes ont évolué dans la mesure où je peignais des paysages solitaires, dénués de gens et d’animaux. Quand je suis venue ici, ça a changé. Soudain, je me suis mise à peindre plus de vie, d’histoires et de situations bizarres ! Ça m’a clairement influencé », admet-elle. Désormais, la mer, l’eau, les gens et les animaux animent ses toiles. 

Notre rencontre avec Meinke a eu lieu quelques jours avant qu’elle n’inaugure une exposition dans un restaurant du centre-ville, le Chá Chá Chá, propriété du critique gastronomique anglais Kevin Gould. Après avoir collaboré au journal The Guardian, cet ancien journaliste de 58 ans a décidé de s’établir et d’investir dans le cœur de Barreta. C’est lors d’un reportage, il y a près de douze ans, que ce dernier a connu l’Algarve. « J’ai rejoint Olhão d’une manière inattendue et j’ai enchanté dès la première minute », se souvient-il. « J’ai trouvé les gens et l’architecture intéressants, et puis le marché… Je peux dire que j’ai fréquenté les marchés les plus célèbres du monde, mais celui d’ici ! Je n’en connais pas de meilleur ! La fraîcheur et la qualité des produits est incroyable. Je me souviens avoir dit un jour à ma femme que nous irions vivre ici. » 

Après avoir écumé les restaurants les plus conceptuels de la planète pour le prestigieux quotidien britannique, Kevin Gould a décidé d’ouvrir le sien à Olhão. Ce dernier a récupéré un immeuble en ruines qui, jusqu’en 1996, abritait une épicerie, à l’arrière de laquelle se trouvait une taverne très populaire et, au premier étage, une maison close. 

« Il n’y a pas à avoir honte de l’histoire, ni de la mythologie de cette maison », pense-t-il. D’ailleurs, tout cela a donné lieu à un livre qui sera présenté après l’été. Selon le propriétaire, créer ce restaurant, dans un pays étranger, dans un lieu de pêcheurs et de conchyliculteurs a été une expérience incroyable : « Ils disent qu’Olhão a une âme, et c’est vrai. Ici, tu peux tout être. Riche, pauvre, n’importe qui, du moment que t’es authentique. J’adore cette éthique. Les gens ont une attitude très vraie face à la vie, ça leur permet d’atteindre une joie qui n’existe qu’ici. Leur manière de s’exprimer est unique. Ils sont réels, avec des vies et des sentiments réels. »

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