Le tapis d’Arraiolos va bientôt ressortir des greniers poussiéreux et redevenir un objet de décoration en vogue. Rodrigo Azambuja a rendu le prestige au tapis traditionnel et l’a transformé en un art ornemental incontournable.
Texte: Cláudia Baptista
Le tapis d’Arraiolos est une partie inhérente du patrimoine artisanal portugais, mais ceci ne garantit pas nécessairement la survie de ce métier ancestral. D’une manière ou d’une autre, négligé par les nouvelles générations, qui l’associent aux anciennes maisons de leurs grands-parents, le tapis d’Arraiolos ne pourra survivre à la menace de son extinction que s’il reçoit une nouvelle vie et que si la société réalise qu’il faut le conserver et ne pas en faire une pièce de musée.
Autrefois, les tapis d’Arraiolos abondaient dans les maisons portugaises, soit au sol ou sur les murs, généralement couvrant de grandes surfaces. De nos jours, les jeunes ont peu d’intérêt pour ce type de tapisserie brodée et sont plutôt attirés par des options accessibles et industrialisées qui inondent le marché. Cependant, les tapis d’Arraiolos classiques pourraient voir un renouveau, tout en conservant l’essence du point de croix oblique qui le définit, mais en renouvelant les motifs avec un style contemporain et artistique, ce qui pourrait bien voir son retour dans des décors élégants et modernes.
Rodrigo Azambuja prétend avoir trouvé une solution pour relancer les tapis d’Arraiolos. En respectant les points traditionnels, il intègre des dessins inspirés par ses études aux Beaux-Arts et à l’Université de Brasilia. Certains des motifs sont géométriques-abstraits; d’autres s’inspirent des azulejos portugais; d’autres encore sont des reproductions de dessins créés en accord avec les environnements dans lesquels ils seront placés. Les chances de survie des Arraiolos sont immenses et le choix de modèles nés de la sensibilité de l’artiste décorateur d’intérieurs est une porte d’entrée vers des idées infinies.
Né au Mexique, Rodrigo Azambuja a découvert le monde grâce à son père diplomate. Dans les années 1960, la tournée de son père se termina au Portugal. S’étant établis à Lisbonne, sa mère, la célèbre décoratrice brésilienne Malú Futscher Pereira, a repris la Sociedade Inglesa au Chiado, fondée par Lady Blanche Ellis, alors pionnière dans la décoration privée dans la capitale. Rodrigo a commencé une collaboration rentable avec sa mère, grâce à son talent pour le dessin. Les Arraiolos étaient inclus dans les commissions de design d’intérieur d’une clientèle élégante et fortunée, et une vaste série de dessins – classiques ou issus de l’imagination de l’artiste – ont commencé à se développer. Aujourd’hui, il s’agit d’une archive précieuse qui comprend des dessins inspirés des anciens carreaux d’azulejos, des toits du Trianon à Versailles et de la collection de velours du musée Gulbenkian, par exemple. Bien qu’il ne soit pas portugais, Rodrigo Azambuja est l’un des derniers champions des tapis d’Arraiolos, préoccupé par leur éventuelle disparition. “Le manque d’intérêt pour le tapis d’Arraiolos est une énorme honte”, dit-il. “J’ai essayé de le promouvoir à l’occasion de l’Expo 98, mais malheureusement je n’ai pas trouvé d’investisseurs intéressés”.
Pendant longtemps, les tapis ont été commandés à l’entreprise de Joaquim Alves Valente, un nom important à Porto dans la production de tapis d’Arraiolos. Suite au décès du propriétaire, Rodrigo Azambuja a trouvé une alternative dans un groupe de brodeuses qualifiées dans la région de la Beira Alta. Ici, de nombreux tapis ont été commandés pour des résidences privées ou institutions, dont le plus important, de 18m x 7m, se trouve en bon état au sol de l’administration de la banque Millennium BCP.
Cependant, les commandes font face à des obstacles en ce qui concerne la matière première. La tradition exige que le tapis d’Arraiolos doit être brodé sur une toile de jute, avec de la laine de mouton à trois épaisseurs, nécessitant de 1,6 kg par mètre carré. Les moutons de la Serra da Estrela assuraient autrefois l’approvisionnement de laine, faisant partie d’une chaîne établie semblable au modèle industriel. La crise du textile a également frappé ce métier avec la disparition des usines de filature; il y a longtemps que la production des tapis d’Arraiolos n’atteint plus les 60,000m2 annuels. Ce nombre a été perdu en faveur de la Chine, qui a produit un montant considérable et dont l’acheteur principal était … le Portugal. Pour faire face à cette crise la solution fut d’importer des toiles et de la laine de Nouvelle-Zélande, d’Écosse et d’Inde pour surmonter la pénurie, ce qui n’affecte pas l’authenticité du tapis portugais, avec sa densité caractéristique de 40,000 points par mètre carré.
Selon les études (il y a peu de publications approfondies sur ce sujet, hormis les ouvrages historiographiques de F. Baptista de Oliveira et Teresa Pacheco Pereira), le tapis d’Arraiolos est devenu «officiel» à partir du moment où la Maison Royale Portugaise a placé une commande au couvent d’Arraiolos dans l’Alentejo – d’où son nom – au 17ème siècle, quand une grande partie de l’artisanat était inspirée par la tapisserie arabe ou les motifs manuélins. Cependant, on sait que ce travail d’aiguille typique est utilisé depuis le 12ème siècle, ce qui est confirmé par les plus anciens dessins maures. L’objet a évolué avec le temps, chaque spécimen témoignant d’une période différente. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les couleurs vives ont donné lieu à des compositions basées sur la faune, la flore et des motifs régionaux, dans des couleurs plus fades. L’influence était clairement anglo-saxonne, avec une abondance de motifs floraux et de reproductions de motifs classiques tels que l’Aubusson. Malheureusement, ces derniers temps, cette épanouissement a cédé la place à une pénurie de production.
Cependant, l’intérêt croissant pour les arts traditionnels, un tremplin pour les arts et les métiers les plus diversifiés avides de renouvellement, fait du tapis d’Arraiolos un trésor à explorer. Il convient de noter que les métiers traditionnels sont attrayants pour le monde du luxe; c’est là qu’il trouve son matériau noble, fondé sur l’authenticité, le savoir-faire, l’histoire, le patrimoine, l’exclusivité et l’artisanat, entre autres attributs.
L’investissement dans une pièce authentiquement portugaise, imprégnée de tradition et de qualité (exigences qui ne peuvent pas être trouvées dans les imitations étrangères), pourrait bel et bien sauver les tapis d’Arraiolos. La dignité d’un patrimoine national qui fait face à l’extinction pourrait avoir un avenir qui salue sa longue histoire, mais un élément de modernité devra inévitablement être incorporé dans la production. C’est n’est qu’alors que les tapis d’Arraiolos pourront être mis à jour et récupérer le prestige des jours passés.
L’essence des Arraiolos
Le point d’Arraiolos est un point de croix oblique comprenant deux demi-croix, dont l’une est le double de la longueur de l’autre. La règle recommande trois phases: 1. Broder le cadre 2. Ombrager 3. Remplir l’arrière-plan