Au Fogo, le chef Alexandre Dias mise sur une cuisine traditionnelle et originale, élaborée à partir d’ingrédients locaux braisés, fumés ou encore flambés.
Ici, tout tourne autour du feu. Ce n’est donc pas un hasard si le propriétaire des lieux a choisi ce sobriquet simple et efficace : Fogo. À quelques pas de la statue lisboète du Marquis de Pombal, dans le quartier prisé de Saldanha, le troisième établissement du gagnant de Top Chef 2012 Alexandre Silva, est un temple de la gastronomie où flammes, braises et charbons sont à l’honneur. En effet, le nouveau pari du chef est la cuisson au feu, qu’il considère comme la base de la cuisine portugaise : « Le feu se comporte différemment à chaque instant. Il doit être maîtrisé, même s’il est quasiment impossible de le contrôler complètement. Il faut le travailler tous les jours pour savoir comment y faire face », explique-t-il.
Si en lisant ces quelques lignes vous imaginez entrer dans un chalet de type savoyard pour déguster une spécialité fromagère alpine, détrompez-vous, vous êtes bien loin du compte. C’est un espace à la fois chaleureux, raffiné, au design ultra moderne et un tantinet industriel que l’on découvre en passant la porte et d’où émanent des senteurs boisées. Au plafond, des luminaires en marbre représentent des buches ardentes pour offrir un effet « cosy » et intimiste. Quant aux murs, ils sont recouverts de briques en céramiques et d’étagères sur lesquelles reposent 6 tonnes de bois et des chaudrons noirs typiquement lusitaniens.
Une fois installé à table, une table en forme de tronc d’arbre, il est temps de laisser le « maestro » opérer sa magie pour un voyage culinaire plein d’étincelles. Alexandre Silva n’en est pas à sa première expérience d’amphitryon ; il a en effet manié les casseroles du El Celler de Can Roca en Espagne et du restaurant de l’hôtel Marmoris dans l’Alentejo avant d’ouvrir son propre espace au Time Out Market de Lisbonne, ainsi que le Loco, qui conserve depuis 6 années consécutives sa bonne étoile Michelin.
C’est donc en toute confiance que les invités peuvent se laisser aller à la dégustation. Pour commencer les hostilités en fraicheur, une huitre braisée 10 petites secondes avec un pesto de persil et une touche de piment malagueta est proposée. Cette association osée de fumé et d’iode fait exhaler les charmes du mollusque tout droit venu de Cacela Velha en Algarve. Pour un amuse-bouche carnivore, là encore le cuisinier se laisse aller à l’originalité avec un tartare de bœuf au requeijão (fromage frais local) enroulé dans une feuille d’épinard flambée. Pour conclure les hors d’œuvre en beauté, les crevettes algarviennes grillées à la chaire tendre et aux fumets charbonneux sont la preuve vivante que mer et feu sont faits pour être conjugués.
Place à présent à la pièce maîtresse de la cérémonie. Si le menu dispose de plusieurs options alléchantes, notamment la langouste, c’est la côte de bœuf de race minhota (nord) maturée 40 jours qui fait l’unanimité. Inutile de préciser que la tendresse de la viande est sans pareille et que ses accompagnements laissent sans voix : un écrasé de pommes de terre parfumé de jus de viande, quelques feuilles de chou braisées et un « arroz miudo », du riz préparé avec des abats dans une poêle en fonte artisanale. Ce dernier représente bien la philosophie du chef car cette recette était autrefois élaborée avec les restes des animaux, pour ne rien en perdre.
Pas de gaspillages et des produits à kilomètres zéro sont les mots d’ordre d’Alexandre Silva, et ce, dans tous ses établissements. C’est lui qui va chercher le poisson frais à la criée de Lisbonne et le reste de ses ingrédients chez des producteurs de la région, à l’exception du bœuf de race minhota qui vient du nord. L’as des fourneaux propose à ses hôtes un menu dégustation au déjeuner et au dîner, ainsi que des options individuelles à la carte, qu’il change bien entendu en fonction des saisons et de ses trouvailles.
Après avoir goûté et adoré les mets dégustés, il faut impérativement faire honneur aux desserts. L’originalité des compositions fait encore mouche et les palais sucrés pourront notamment se délecter d’un « bolo humido » (gâteau humide) à la clémentine orné d’une crème au citron brûlée, ou encore d’un moelleux à la caroube couronné de caramel au beurre salé.
Si la faim ne se fait pas encore ressentir, il est toujours possible de siroter un cocktail fumant au bar ou un verre de vin portugais sélectionné par le sommelier. Mais le comptoir n’est qu’un passage, une salle d’attente avant de s’attabler, transporté par les effluves brûlants qui s’échappent du fond de la salle. Comme le souligne le chef, « la cuisine au feu est l’ADN de la gastronomie portugaise, d’hiver comme d’été » ; il n’y a donc pas de saison pour aller au Fogo et découvrir les plats étincelants d’Alexandre Silva.
Johanna Trevoizan
Photos Pedro Marcelino / Workmove