Cet été, un voyage à Porto s’impose pour vivre des expériences artistiques inoubliables.
FRANCIS BACON, WORLD OF WINE, PORTO
En avril 1945, quelques semaines avant que les armées alliées n’atteignent Berlin, une bombe est tombée sur le monde de l’art londonien. Les visiteurs de la Lefevre Gallery dans la Bond Street, découvrent l’œuvre d’un jeune artiste méconnu lors d’une exposition collective d’art contemporain britannique. Cet artiste à la force incendiaire est Francis Bacon.
Le public qui fréquente la galerie est à la fois stupéfait et consterné. Les peintures à l’huile de Bacon étaient viscérales, violentes, et d’une beauté intimidante. Des personnages monstrueux, mi-humains, mi-animaux, enfermés dans des pièces sans fenêtre, leur cou tubulaire tendu vers le spectateur hurlant de tourment et de haine. Elles semblaient dire : « Vous pouvez penser que la guerre est presque terminée, vous pouvez aspirer à la paix, mais la douleur de l’existence est là pour rester ». Bacon a plongé son pinceau dans les nuances les plus sombres de l’expérience humaine pour produire des œuvres d’une angoisse brute. L’écrivain anglais John Russell a résumé la situation en disant : « La peinture existait en Angleterre avant et après les « Trois études de figures au pied d’une crucifixion » mais personne… ne peut confondre les deux ».
Bacon a peint des portraits de ses amis, vêtus ou nus, et préférait travailler à partir de photographies plutôt que de modèles vivants. À l’exposition « World of Wine », une vidéo du studio de l’artiste montre une quantité de photos, d’esquisses et de peinture qui recouvre chaque centimètre carré de l’espace au sol.
Bacon est une sorte de personnage comme Dorian Gray, dans lequel le charisme, le charme et l’esprit luttent avec le masochisme et la destruction. Que nous détestions ou que nous soyons attirés et fascinés par son œuvre, lui, le joueur impénitent, aurait parié que nous ne pouvons rester indifférents devant son œuvre. Je suis sûr qu’il aurait gagné. En 2013, les « Trois études de Lucien Freud » représentant l’ami de l’artiste pendant son époque bohème à Soho, détiennent le record mondial de l’œuvre d’art la plus chère jamais vendue, à 142 millions de dollars (environ 117 millions d’euros).
Jusqu’au 26 septembre, l’exposition à la galerie World of Wine, dans le nouveau quartier culturel de Vila Nova de Gaia présentera un aperçu lithographique de l’œuvre de Bacon. C’est un événement à ne pas manquer et l’occasion de découvrir les œuvres de l’un des principaux artistes figuratifs du XXe siècle.
ALBERTO GIACOMETTI ET PETER LINDBERGH, MUSEU DA MISERICÓRDIA, PORTO
De l’autre côté du fleuve Douro, « Seizing the Invisible » au Museu da Misericórdia (MMIPO) est une somptueuse exposition de sculptures et de dessins d’Alberto Giacometti avec en prime des photographies de Peter Lindbergh. Giacometti est né en Suisse en 1901, huit ans avant la naissance de Bacon à Dublin, ce qui fait de ces deux artistes des contemporains. Alors que Bacon a fait un certain nombre de séjours prolongés à Paris, Giacometti y a passé la majeure partie de sa vie d’adulte. Pendant quelques temps, au début des années 1960, ils se sont croisés dans la ville lumière et sont devenus amis jusqu’à la mort de Giacometti en 1966.
©PETER LINDBERGH, COURTOISIE DE LA FONDATION PETER LINDBERGH, PARIS. ©SUCCESSION ALBERTO GIACOMETTI, FOUNDATION GIACOMETTI, PARIS ET ADAGP.
Les deux « maestros » étaient obsédés par les possibilités expressives de la tête et de la figure humaines. Comme Bacon, Giacometti prenait ses amis comme modèles et, là encore, comme son homologue britannique, il s’est débarrassé d’une grande partie de son travail qu’il ne jugeait pas à la hauteur. Dans « Un portrait de Giacometti », l’écrivain américain James Lord raconte l’expérience intense qu’il a vécue en posant pour le créateur pendant 18 jour consécutif. Chaque soir, l’artiste semblait avoir atteint la perfection ; mais le lendemain matin, à l’arrivée de son modèle à l’atelier, Giacometti, toujours insatisfait de son travail, annonçait qu’il avait détruit la production de la veille. Giacometti s’allumait une cigarette et la séance épuisante recommençait.
©SUCCESSION ALBERTO GIACOMETTI_FOUND. GIACOMETTI, PARIS E ADAGP, PARIS 2021.
Dans un autre registre, le photographe de mode allemand Peter Lindbergh a contribué à la création des « super modèles » des années 1990, ces « visages qui ont lancé un millier de parfums ». Bien que sensible à la beauté plastique, Lindbergh était tout aussi soucieux de dépeindre la personnalité de chaque mannequin. Une grande partie de ses meilleurs travaux ont été réalisés en noir et blanc, technique qu’il considérait comme plus « douce » pour le modèle et plus sensible à son caractère.
©PETER LINDBERGH. COURTOISIE DE LA FONDATION PETER LINDBERGH, PARIS. NAOMI CAMPBELL, KAREN ELSON, JAYNE WINDSOR, SHIRLEY MALLMANN.
L’un des derniers projets du photographe a été d’immortaliser l’œuvre de Giacometti dans les archives de la Fondation Giacometti, à Paris. L’exposition au MMIPO établit un extraordinaire dialogue intime entre les sculptures originales en bronze de Giacometti et la perception qu’en a Lindbergh, vue à travers l’objectif de son appareil et produite sous forme de tirages en grand format.
« Seizing the Invisible » sera présentée jusqu’au 24 septembre et est sponsorisée par Taylor’s Porto, qui offre un verre de porto à déguster sur le toit-terrasse du MMIPO, avec vue sur la ville. Adrian Bridge, PDG de Taylor’s, a expliqué que la marque prévoyait d’accueillir des expositions annuelles d’art international à Porto, en plus des expositions permanentes dans les différents musées du « World of Wine ».
James Mayor