Commençons par une confession : je suis comme un moine bouddhiste vaguement désolé quand il s’agit de dire « non ». Bref, je ne sais pas dire non !
Tu veux que j’arrose tes 56 plantes pendant que tu sirotes du vin en Toscane ? Bien sûr ! Besoin d’aide pour monter un meuble IKEA parce que je suis douée pour déchiffrer les notices ? Aucun problème ! Tu veux que je t’amène ou vienne te chercher à l’aéroport à des heures absurdes ? Hum, bon… d’accord !
Quelque part entre les déménagements à l’étranger, les décalages horaires, et les tentatives de faire semblant de savoir distinguer le kéfir du kimchi lors de dîners diplomatiques, j’ai perdu ma capacité à dire « non ». Ça n’a pas toujours été le cas. Dans mes jeunes années, je pouvais balancer un « nan » bien ferme avec toute l’insolence d’un enfant qui refuse de manger ses légumes.
Mais la vie à l’étranger a un effet étrange sur nos limites. On est la nouvelle. On veut s’intégrer. On sourit trop fort, on acquiesce trop vite, et avant même de s’en rendre compte, on accepte de présider trois comités, de vendre des gâteaux à quatre kermesses, et d’organiser un dîner fusion finno-argento-libanais. Pour 22 personnes. Un mardi soir.
Il fallait que ça change. Je me suis plongée dans des livres de développement personnel qui promettaient d’enseigner l’art de poser des limites avec élégance. Ils proposaient des phrases toutes faites du type : « Merci pour l’invitation, mais je dois décliner », ou « C’est gentil d’avoir pensé à moi, mais je ne suis pas disponible », etc., etc.
Ça semblait trop beau pour être vrai. Et pourtant, je me suis lancée. Une expat m’a demandé si je pouvais accueillir le club de lecture à la dernière minute chez moi. J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai tapé sur WhatsApp, en invoquant mon Oprah intérieure :
« Merci d’avoir pensé à moi, je suis désolée, mais ce ne sera pas possible. »
Avant même d’avoir pu étoffer ma réponse avec quelques excuses créatives, je reçois une avalanche de messages en retour :
« Oh non ! Tout va bien ? Il s’est passé quelque chose ? Tu as besoin d’un gratin ? D’un psy ? D’un plombier ? »
À la fin de l’échange, non seulement j’avais accepté d’organiser le club de lecture, mais en plus je faisais les cupcakes à thème et j’animais la discussion sur l’existentialisme norvégien du XIXe siècle.
Déterminée à m’endurcir, j’ai observé des amis qui savaient dire « non » avec un sourire chaleureux et un impeccable « peut-être une autre fois ». Alors je me suis entraînée. J’ai dit « non » à un séminaire Zoom intitulé “S’épanouir en tant que foyer globalement mobile” et j’ai décliné une invitation à une réunion de trois heures du conseil de quartier, dont l’ordre du jour commençait par des exercices de confiance pour briser la glace. Tout ça en rafale.
Et devine quoi ? Le monde ne s’est pas écroulé. Les gens ont survécu. Moi aussi. J’ai même commencé à me sentir… libre. Attention, j’aime toujours aider, mais je ne crois plus que chaque demande doive forcément recevoir un « oui ! » retentissant.
« Oui quoi ? », m’a demandé mon conjoint.
J’ai souri. Je venais de parler à voix haute.
« Non, je voulais dire non », ai-je précisé.
« Si tu voulais dire non, pourquoi t’as dit oui ? », m’a-t-il demandé.
« Parce que c’est ce que je faisais avant », ai-je répondu.
« Tu faisais quoi ? », a-t-il insisté.
« Je disais oui quand je pensais non », ai-je expliqué.
« Mais pourquoi tu faisais ça ? », a-t-il demandé, un peu perdu.
« Je ne voulais blesser personne », ai-je dit.
« Et maintenant ? », il tendait l’oreille.
« Maintenant, je dis ce que je pense », lui ai-je dit.
« Et pourquoi ? »
« Parce que je ne veux plus me blesser, moi. »
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