L’apôtre Jacques
La diffusion du judéo-christianisme
Bien avant la naissance du Christ, des communautés juives exerçaient déjà des fonctions traditionnelles de commerçants, prêteurs, collecteurs d’impôts ou conseillers auprès des élites. Leur présence sur la péninsule ibérique remontait à au moins six siècles.
Certains membres de la tribu maritime de Dan étaient arrivés avec leurs cousins phéniciens, mais la majorité venait d’Afrique du Nord, où des communautés juives s’étaient établies le long du littoral, d’Alexandrie à Tanger. Si beaucoup étaient des descendants des enfants d’Israël, un nombre important provenait de conversions, notamment parmi les Berbères, des soldats et des esclaves domestiques. C’est à ce groupe, les Séfarades, que les premiers évangélistes s’adressèrent pour prêcher l’Évangile.
L’éminent historien portugais Emanuel de Faria e Sousa, chevalier de l’Ordre du Christ, rapporte que l’apôtre Jacques aurait prêché aux abords de Braga sous le règne de l’empereur Caligula (37-41 apr. J.-C.), accomplissant de nombreux miracles. L’un d’eux aurait consisté en la résurrection, par « extraction », d’un Juif nommé Samuel Malachias, descendant présumé du prophète Urias, qui devint le premier évêque de Braga avant de subir le martyre à Rates.
Un autre converti, du nom de Torquatus, fut également martyrisé près de Guimarães, toujours par les populations locales. Avant de quitter la région pour l’Angleterre, Jacques aurait nommé d’autres évêques, dont les noms et actes ne nous sont cependant pas parvenus.
Une légende fondatrice
Selon la tradition, lorsque le corps décapité de l’apôtre Jacques fut ramené par mer, un prince local serait apparu à bord, lui et son cheval ornés de croix et de coquillages. Interprété comme un signe divin, cet événement aurait scellé la conversion de sa tribu au christianisme. Le prince aurait alors mené le cortège funèbre en Galice, trottant au-dessus des flots jusqu’à la côte.
Le concile de Nicée – Arias assis aux pieds de l’empereur Constantin
Entre silence historique et persécutions
Peu de documents relatent l’expansion du christianisme judéo-réformé durant les premières décennies, une période marquée par les persécutions contre toute foi perçue comme une menace à l’empereur. Néanmoins, plusieurs évêchés semblent avoir vu le jour et les fidèles incluaient de plus en plus de non-Juifs.
En 267 apr. J.-C., une grande peste venue d’Orient ravagea la Lusitanie, plongeant plusieurs villes dans la désolation et la famine. Les chrétiens, déjà persécutés depuis l’empereur Dèce (249–251), furent rendus responsables du fléau. Il fallut l’intervention de l’empereur Gallien pour faire cesser les massacres.
Mais le mal était fait : deux évêques, Marcellus et Basilides, avaient abjuré. Le pape Étienne plaida pour leur pardon, mais un synode convoqué à Braga rejeta sa demande et élut de nouveaux évêques et diacres.
Vers un christianisme structuré
Au début du IVe siècle, le Synode d’Elvire en Bétique, rassembla les évêques d’Emerita, Évora et Ossónoba (actuelle Faro). Il réforma le droit canon, précisant les rôles du clergé et des laïcs. Le synode marginalisa les judaïsants et réduisit le statut des femmes, désormais tenues d’obtenir l’autorisation du chef masculin du foyer pour tout acte, même banal.
En 313, l’Édit de Tolérance signé à Milan par l’empereur romain d’Occident Constantin Ier et son homologue de l’Est, Licinius, légalisa la foi chrétienne et mit fin aux persécutions.
Avant sa mort en 337, Constantin fut baptisé par Arius, un prêtre d’Alexandrie qui prônait une vision simplifiée du christianisme, niant la consubstantialité du Christ. Son fils, Constance II, poursuivit cette ligne arienne, qui gagna rapidement du terrain, y compris chez Potamius, premier évêque de Lisbonne.
Mais le courant fut violemment combattu par les défenseurs de l’orthodoxie nicéenne, définie lors du concile œcuménique de Nicée en 325. La controverse dura jusqu’en 380, lorsque l’empereur Théodose fit déposer l’archevêque arien de Constantinople et promulgua l’édit de Thessalonique, faisant de la foi nicéenne la religion officielle de l’Empire.
The Emperor Gallienus – Gold Coin
L’affaire Priscillien : hérésie, pouvoir et politique
En Lusitanie, l’arianisme et le non-conformisme furent renforcés en 370 par le mouvement priscillianiste, fondé en Galice par Priscillien, noble converti prônant une foi ascétique, fondée sur l’étude des Évangiles, le rejet des excès (viande, vin) et une plus grande participation des femmes à la vie religieuse et sociale. Son discours séduisit de nombreux laïcs lassés des querelles théologiques.
Soutenu par les évêques Instantius et Salvianus, Priscillien devint évêque d’Ávila. Son influence grandit dans le nord-ouest de l’Hispanie, au point de contrôler des biens ecclésiastiques. Il s’attira l’hostilité d’Itácio Claro, métropolite d’Ossónoba, qui l’accusa d’hérésie manichéenne, de magie et d’astrologie.
Condamné par contumace par les autorités ecclésiastiques, Priscillien fit appel à Rome. Le jugement fut annulé, les évêques réhabilités, et Itácio emprisonné pour avoir « troublé l’Église ».
Mais le répit fut de courte durée. En 383, le général romain Magnus Maximus, après avoir usurpé le trône impérial, relança les poursuites contre Priscillien, cette fois devant un tribunal civil, sur des accusations de sorcellerie – un crime passible de mort et de confiscation des biens. Torturé, Priscillien avoua et fut décapité en 385 avec cinq de ses compagnons.
Paterno II – Premier évêque de Braga
Une foi en devenir
Ainsi, avant même la chute de l’Empire, le christianisme connut un parcours chaotique fait de persécutions, de tolérance, puis d’adoption par les autorités impériales. Ce cheminement ouvrit la voie à l’établissement futur du catholicisme romain comme religion d’État.
Cette assimilation fut facilitée par l’adaptation de certaines pratiques païennes locales, notamment en matière de rites funéraires.
Pour une analyse détaillée des nécropoles de Lusitanie méridionale, on peut se référer aux travaux du professeur Carlos Perreira de l’Université de Lisbonne dans The Roman Necropolis of Algarve, publié en 2015 chez Archaeopress (en anglais).
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