La Tasca do francês, lancée par Philippe Remondeau en mai 2017, est à l’image du quartier historique de Lisbonne où elle est située. Les origines de la cuisine proposée par le chef – française, portugaise, brésilienne et même italienne – s’enchevêtrent comme les rues alentour.
Texte Vincent Barros
« On est un peu cachés, certes, convient Philippe Remondeau, mais on est au milieu de tout. » On ne saurait contredire le chef français, qui a ouvert son petit restaurant à deux pas de l’Assemblée de la République, dans la rua da Cruz dos Poiais, une pente pavée de São Bento, un coin charmant de la capitale portugaise.
Cachée, l’adresse l’est d’autant plus par des travaux dans l’immeuble qui vont durer six mois. Pile devant la devanture… « Je ne savais pas en signant », déplore le patron. C’était il y a un an et demi. Cuisinier depuis toujours, Philippe cherchait « dans une zone historique un petit endroit pas très cher, pas très grand », où il pouvait travailler lui-même, avec maximum deux personnes. « J’ai eu la chance de trouver ce restaurant, qui était nickel, tout aux normes, ce qui à Lisbonne reste incroyable. J’en ai visité des endroits où il fallait tout refaire, rien n’avait bougé depuis quarante ans ! Ici, j’ai fait zéro travaux. »
Après un coup de peinture, un peu de matériel acheté quand même, la Tasca do francês a ouvert ses portes en mai 2017. Avec ses chaises blanches, ses coussins de couleurs différentes, son parquet sur les murs, où sont accrochées des œuvres d’artistes locaux lors d’expos éphémères. « Tasca, ça m’évoque quelque chose de petit et de pas cher, explique le patron. La nôtre, je dirais que c’est une tasca chic par la déco (parquet au mur, chaises blanches, coussins de couleurs différentes…). Au moins, avec ce nom, qu’on a mis du temps à trouver, on sait précisément où on met les pieds. »
Ici, les vins sont portugais et les menus sont fixes : trois entrées, trois plats chauds, trois desserts, qui sont renouvelés toutes les semaines, ou tous les dix jours, avec des fruits et légumes de saison, « parce qu’ils sont meilleurs, moins chers et plus jolis », précise Philippe, dont l’accent trahit des origines gardoises, plus précisément de la commune de Bagnols-sur-Cèze.
Une entrée et un plat ou un plat et un dessert coûtent 9 euros, les trois 12 euros. Le soir, c’est un peu plus cher : 20 euros. « Mais pour ce prix-là, je sais que les clients mangent pour une qualité de 30 à 40 euros sur Lisbonne, car j’ai eu l’occasion de faire quelques restaurants », assure le chef, aidé en cuisine par Pradeep, un Népalais, et en salle par Marlène, une Française originaire de Pau.
La première des spécialités de la maison est la crème brûlée, qu’on a testée et qu’on approuve. Les autres, Philippe Remondeau les détaille autour d’un café après son service du midi. « Je mélange la cuisine française (entrecôte sauce vin rouge ou le gratin dauphinois), on peut trouver aussi des découpes brésiliennes comme la maminha, ce sont des viandes de race Angus ou Hereford qui viennent d’Uruguay ou d’Argentine, délicieuses et qui sont au même prix que la viande de vache européenne. On peut manger un bobó de camarão, une morue à l’ail confit et à l’huile d’olive. J’aime aussi la cuisine italienne (la vraie lasagne avec la viande hachée qui cuit dans la tomate pendant deux jours). On essaye de varier, mais ça reste toujours méditerranéen, du sud, et parfois accès sur le Brésil (pomme de terre douce, tartare de thon au fruit de la passion en entrée). »
Le Brésil, Philippe connaît un petit peu… Sa femme Norma en est originaire et le couple y a vécu vingt et un an. D’abord à São Paulo, puis quinze ans à Porto Alegre, dans le sud du pays, où les Remondeau tenaient un restaurant bien plus grand qu’aujourd’hui, Chez Philippe. L’une des dix meilleures tables de la ville, selon ce dernier, qui nous montre quelques photos des lieux, mais aussi les deux livres qu’il a publiés là-bas. « On avait une belle clientèle, un joli jardin derrière, on organisait des mariages, raconte le chef français. On a eu jusqu’à 12 employés, on bossait beaucoup avec des extras, c’était galère à gérer. »
Même si Philippe éprouvait déjà l’envie de « revenir à quelque chose de plus accès sur la cuisine, moins sur l’administration », ce ne sont pas ces quelques contraintes de gestion qui ont précipité la fin de l’aventure. « Il faut vivre au Brésil pour comprendre pourquoi on l’a quitté, confie-t-il. C’est un pays magnifique, mais gangréné par les problèmes d’insécurité. Beaucoup trop. La violence est présente à tous les niveaux. Cela faisait longtemps que je voulais partir. Je n’en pouvais plus. On ne pouvait plus sortir de la rue. » Le restaurant, en vente durant deux ans, finira par être racheté. Soulagement et retour en Europe.
Le père de Philippe, qui avait tenu lui-même un restaurant à Bagnols-sur-Cèze où le fiston avait fait ses armes de cuisinier durant deux ans, après un apprentissage dans des Relais & Châteaux et des étoilés, dont un en Angleterre, lui parle alors du Portugal, de l’intérêt d’y tenter quelque chose. Ce que feront Philippe et Norma, après avoir visité le pays du nord au sud durant une dizaine de jours.
Aujourd’hui, le couple a trouvé sa maison à Lisbonne, ses marques, tandis que les enfants vivent en France, la fille à Paris, le fils à Tours. « Ici, le climat est agréable, sauf cette année, relève le chef. La ville est jolie, les gens sont relativement sympa, plus cool et moins stressants qu’en France. Et surtout ici, je peux travailler la porte ouverte, je n’ai pas besoin d’avoir de sécurité à l’entrée. Ici, on vit tout simplement. »
Parmi les clients de la Tasca do francês, pas mal de locaux, surtout le midi, des propriétaires de cafés, d’hôtels, mais aussi des Français installés sur place, comme les profs du collège-lycée Charles-Lepierre, ou encore des Anglais, un peu d’Allemands, des Italiens, des Espagnols… Philippe s’amuse surtout de retrouver un certain nombre de clients qu’il avait à Porto Alegre et qui viennent à Lisbonne par le bouche-à-oreille, grâce à ligne directe de la TAP qui relie les deux villes.
Tout ce petit monde, qui va et vient, ne garantit pas pour autant que le restaurant (37 couverts) affiche toujours complet. « Cette année, c’est bizarre, concède le chef. C’est mon deuxième été, je parle un peu avec les collègues, et c’est lent. J’ignore si c’est à cause du temps ou de la Coupe du monde, mais ce n’est pas comme l’année dernière. Je ne me plains pas, on travaille. »
Tasca do Francês
Du mardi au samedi, de 12 h à 15 h, puis de 19 h 30 à 23 h 30
Rua Cruz dos Poiais 89, Lisbonne
Tél. : 210 105 653
Courriel : tascadofrances@gmail.com