DRÔLES DE PETITES BÊTES

Dans son « EVILUTION », Bordalo II expose ses œuvres inédites ainsi que ses racines artistiques avec, comme de coutume, un message critique et écologique de la société.

Grandioses et colorées, les sculptures faites de déchets qui habillent les murs de plusieurs villes au Portugal, en France, à Singapour, aux États-Unis, en Allemagne ou encore en Autriche ne passent pas inaperçues. Le message d’Artur Bordalo, plus connu sous le nom de Bordalo II (prononcé « Bordalo segundo » en hommage à son grand père, le peintre Real Bordalo), est assez clair : l’impact de la pollution humaine sur les animaux.

Bref, tout le monde ou presque connait celui que l’on considère comme l’un des plus grands artistes portugais, ou a en tous cas eu l’opportunité de contempler une de ses œuvres au détour d’une rue. La première question qui vient à l’esprit des admirateurs du sculpteur concerne la logistique quant aux détritus utilisés. Va-t-il les récolter sur les plages avec ses acolytes ? Il arrive parfois que ce soit le cas, mais en règle générale des entités privées lui apportent toutes sortes de restes urbains, des chutes de métal, des conteneurs, des jouets en plastique, des tuyaux, des cordes et des débris marins pour qu’ils créent leur « trash art ». Ce dernier est un courant artistique qui vise à critiquer des concepts de production et de consommation excessives qui causent l’incessante augmentation de déchets et, par conséquent, la destruction de la planète. Depuis ses débuts en 2012, Artur Bordalo a réutilisé environ 115 tonnes de matériaux.

C’est au sein du nouveau Edu Hub Lisbon de Chitra et Roman Stern, dont la passion pour l’art et le soutien inconditionnel aux artistes portugais ont ouvert la voie à la créativité, que se tiendra jusqu’au 11 décembre la nouvelle exposition gratuite et individuelle de Bordalo II : EVILUTION, subtil mélange de « evil » (mal ou mauvais en anglais) et « évolution ».

Tout comme le sont les œuvres de l’artiste, l’exposition est à grande échelle et divisée en cinq catégories qui comprennent un certain nombre de pièces connues du public par leur style très « bordalien », ainsi que des approches et des genres totalement nouveaux, en d’autres termes, une évolution. « Je fais ces pièces depuis longtemps, et je suis censé être un créateur, pas une machine. J’ai donc beaucoup d’idées qui reviennent sans cesse et des choses que j’aimerais faire. Je ne veux pas créer les mêmes pièces pour toujours ou faire la même chose encore et encore ; je veux évoluer et que mon travail évolue avec moi. Ces dernières années m’ont permis de beaucoup réfléchir à mes racines, le graffiti. Et même si ma formation en beaux-arts m’a donné quelques outils
pour évoluer sur le plan artistique, les graffitis et le street-art m’ont donné le sens de l’échelle et m’ont montré comment utiliser toutes sortes de matériaux pour créer quelque chose et faire preuve d’ingéniosité. Indépendamment de tous les inconvénients liés au graffiti, c’est mon origine », affirme Artur Bordalo.

Le premier moment de l’exposition se traduit par des travaux qui représentent bien le style du sculpteur. Au lieu des célèbres « Big Trash Animals » (les fameuses sculptures murales), l’artiste ouvre les hostilités avec des « Small Trash Animals » (petits) divisés en trois séries : Les « Neutre », des assemblage de déchets peint sur du plastique pour montrer un animal presque réel ; les « Half-Half » (moitié-moitié) qui arborent une moitié neutre et une moitié purement conçue de plastique coloré dans lequel il est facile d’identifier les objets utilisés et enfin les « Plastic », qui révèle les objets utilisés sans aucune peinture. Si les sculptures présentées semblent être des classiques de l’artiste dans le sens où elles sont connues du grand public, elles ont en réalité toutes été créés pour l’événement.

Arrivé dans la deuxième salle intitulée « Nature Matters » (la nature compte), le public découvre des pièces produites avec des matériaux jamais exploité par l’artiste auparavant. En effet, il a travaillé pour première fois le bois et la pierre sur diverses couches, pour créer des formes et des nuances d’une souris, d’un lapin ou encore d’un chat. Bordalo confie par ailleurs que le travail de la pierre et du bois est plus difficile que celui du plastique et un temps de réalisation beaucoup plus conséquent.

Puis, en entrant dans le troisième espace le visiteur ne comprend pas immédiatement de quoi il s’agit. Des pneus colorés, des sprays de peinture vides et des bouteilles en plastique envahissent les lieux. La salle « Pixels » présente des animaux conçus à partir des pires détritus qui nous envahissent actuellement. Toutes les installations présentées ici impactent profondément les spectateurs par sa beauté, ses couleurs et les messages délivrés. Un singe en mégots contre les grandes entreprises tabagiques qui continuent à tester leurs cigarettes sur les chimpanzés, un panda caché parmi les pneus de voiture ou encore un gorille élaboré avec des masques chirurgicaux qui rit aux éclats, pour signifier que le bonheur existe, même derrière les masques.

On quitte alors les pixels pour aller au cinéma, et assister à une vidéo de quelques minutes : « Rewild » (re-sauvage). Ce très court métrage révèle l’équipe de l’artiste incognito dans Lisbonne, qui tente de repeupler la capitale vidée par le confinement par ses habitants primitifs, les animaux. Il s’agit cette fois de sculpture conçue de déchets plastiques, ponctué de leds lumineux. La cinquième et dernière salle est consacrée à ces petites bêtes illuminées et à certaines disparues au cours du tournage. Multiples sont les raisons de se rendre à « Evilution ». La principale motivation est bien entendu artistique et esthétique, puis il y a l’aspect écologique et critique qui attire bon nombre de personnes et enfin, il y a le soutien à un artiste admirable, là encore pour de multiples raisons.

Johanna Trevoizan

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