Les établissements scolaires multilingues et cosmopolites n’ont jamais été aussi nombreux au Portugal. Mais avec de longues listes d’attente, l’offre répond-elle à la demande ?
Le Portugal et ses 12 millions d’habitants vivent aujourd’hui ce que l’on considère comme l’un des plus importants afflux d’immigrants depuis les années noires de la Seconde Guerre mondiale. Selon un rapport du Service des étrangers et des frontières (SEF) publié en juin, le pays compte 480 000 résidents étrangers. Si le nombre de Français, Italiens et Britanniques (inquiets pour le Brexit) n’a cessé d’augmenter ces dernières années, notamment grâce au programme des résidents non habituels (RNH), la plupart d’entre eux viennent de l’extérieur de l’Union européenne. De nombreux Brésiliens, Chinois, Sud-Africains, Russes et ressortissants du Moyen-Orient profitent aussi du programme Golden Visa et du tout nouveau Tech Visa, une mesure introduite pour attirer des talents dans le pays.
UNE DEMANDE CROISSANTE
Les établissements privés sont de plus en plus nombreux, et doivent répondre aux attentes des communautés étrangères à la recherche d’enseignement de qualité. C’est le cas par exemple de la nouvelle British School Lisbon (BSL), membre de la Schools Trust, une organisation à but non lucratif qui chapeaute les académies anglo-saxonnes hors du Royaume-Uni.
L’école, qui compte 60 élèves inscrits à ce jour, mais qui accueillera 120 élèves âgés de 3 à 8 ans, a été inaugurée cette année par le directeur David Laird en présence de l’ambassadeur britannique à Lisbonne, Chris Sainty, du président de la Chambre de commerce anglo-portugaise, Filipe Lowndes Marques, et de Jessica Ordovas Ussia, administratrice de la Schools Trust. Installée en plein cœur de la capitale dans un bâtiment classé du XVIIIe siècle – autrefois la Monnaie royale –, avec des installations modernes, la BSL est aujourd’hui une école primaire mais songe à ouvrir des classes de secondaire.
« Nous avons eu tellement de chance. Après avoir visité une centaine de bâtiments, nous avons finalement trouvé ce site, où nous avons signé en décembre pour réussir à ouvrir en septembre, déclare Ashley Andrews, responsable du développement. Tous les facteurs étaient réunis et la demande était forte, alors nous avons saisi cette opportunité. »
UN PÔLE ÉDUCATIF
Quant à la nouvelle United International School of Lisbon, elle fera partie d’un centre éducatif plus large, Edu Hub, situé sur un site de 30 000 m2 sur l’avenida Marechal Gomes da Costa, dans les anciens locaux de l’Universidade Independente, à proximité du Parque das Nações. Ce projet de 70 millions d’euros a été conçu par le groupe Martinhal, propriétaires et gérants de plusieurs complexes hôteliers dans le Grand Lisbonne et dans l’Algarve.
« Nous agissons en tant qu’investisseurs-développeurs, et non en tant que gestionnaires. En 2017, le consultant en immobilier Cushman & Wakefield a mis à disposition le terrain qui était détenu par un fonds privé. Nous avions approché 10 opérateurs différents et nous avons choisi International Schools Services (ISS) de Princeton, dans le New Jersey », explique Chitra Stern, entrepreneure, promotrice dans l’immobilier, professeure d’université et propriétaire/fondatrice de Martinhal Family Hotels & Resorts. Leur objectif est de construire un véritable pôle comprenant des bureaux, des start-up et des espaces de co-working, un hôtel et une résidence pour personnes âgées avec assistance à domicile. L’établissement suivra le programme américain et accueillera les enfants de la maternelle à la 12e année (Terminale) avec le baccalauréat international à la clé. « La croissance soudaine des écoles internationales est due, en partie, à une heureuse combinaison d’événements, explique Chitra Stern. Rien n’arrive par accident. De nombreux facteurs en sont à l’origine : les familles qui s’installent au Portugal, le dynamisme de la création d’entreprises, les délocalisations, le near-shoring (transfert d’une activité commerciale vers un pays voisin) ou encore le Brexit. »
SOLEIL ET SÉCURITÉ
Bien sûr, d’autres causes sont à l’origine de cet exode vers le Portugal, comme l’instabilité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, notamment en Iran, en Syrie et dans les Etats du Golfe. L’insécurité économique et politique au Brésil et en Afrique du Sud a eu un effet similaire, les entrepreneurs ont cherché un environnement plus sûr pour leurs familles et leurs enfants, y compris pour l’éducation. Selon l’Indice mondial de la paix, le Portugal est le troisième pays le plus sûr au monde pour vivre.
Le climat ensoleillé et le style de vie détendu des Portugais a aussi attiré les étrangers. Les écoles ont essayé de réagir, comme c’est le cas du lycée français Charles-Lepierre à Lisbonne, de la St. Peter’s International School à Palmela, ou encore de la St. Julian’s School à Carcavelos, qui ont cherché à agrandir leurs locaux. Mais ce n’est pas si simple : il faut à la fois des autorisations foncières et d’urbanisme.
L’EXPORTATION DE PRESTIGIEUSES ENSEIGNES
L’expansion des écoles internationales à l’échelle mondiale s’est multipliée au cours des vingt dernières années, à tel point que toute la branche de l’Education a connu une véritable révolution.
Les classes moyennes et supérieures des pays émergents comme le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (BRIC) ont connu une croissance considérable et recherchent la meilleure éducation pour leurs enfants, les envoyant par exemple étudier au Royaume-Uni, au Canada, aux Etats-Unis ou encore en Suisse. Pour préparer ces jeunes générations à l’Université, les établissements de l’enseignement secondaire privé et de niveau « A » se sont multipliés. Ce phénomène a conduit à la croissance des chaînes scolaires cosmopolites, qui étendent maintenant leurs enseignes dans des régions demandeuses comme la Chine et l’Asie du Sud-Est. Le marché étranger séduit aussi de plus en plus d’écoles indépendantes britanniques qui veulent s’étendre à l’international comme Harrow, Repton, Sherbourne, Marlborough et Dulwich. La Sherbourne School a par exemple ouvert une succursale au Qatar et le Marlborough College en a ouvert une en Malaisie.
Des établissements prestigieux et historiques comme les Lycée Français sont présents dans le monde entier et sont, eux aussi, victimes de leur succès. Les liste d’attente aux succursales de Lisbonne et de Porto sont très longues et peu d’alternatives sont disponibles pour les francophones sur la péninsule.
Des questions restent en suspens : l’école internationale doit-elle être le reflet de l’établissement du pays d’origine, ou un modèle de franchise et se contenter d’une part de l’excédent ? Par ailleurs, les réglementations du pays doivent être étudiées, tout comme la viabilité commerciale du projet. Une diligence raisonnable doit également être entreprise. Bref, il est essentiel d’avoir les bons conseils juridiques sur le terrain pour réussir à long terme.
INVESTISSEMENT
« L’internationalisation de l’Algarve a longtemps été assumée par des résidents principalement anglais, mais aujourd’hui, des Français, des Néerlandais, des Chinois et des Russes s’installent dans leur sillage. Le marché portugais est en pleine mutation. Le Golden Visa a eu un impact et un rôle essentiel dans le changement du paysage scolaire international », explique Chitra Stern, qui est également membre consultatif du Portugal IN, un groupe de travail sur l’investissement étranger direct du gouvernement. Cette dernière est persuadée que les investisseurs se tournent vers les pays qui ont un bon système éducatif : « Les personnes ayant une famille ne vont pas délocaliser et créer une entreprise s’il n’existe pas de bonne infrastructure d’enseignement dans le pays, la ville ou la région dans laquelle elles envisagent d’investir. » Un rapport de 2017 de Portugal IN a révélé un manque de disponibilités dans les écoles internationales du pays. Selon Chitra Stern, l’un des problèmes réside « dans les restrictions imposées à l’agrandissement pour répondre à la demande du marché, car de nombreux établissements sont gérés par des fondations à but non lucratif ».
DU NORD AU SUD
En Algarve, région ensoleillée de villégiature, une nouvelle école internationale ouvrira ses portes en septembre, près de Loulé. L’école Eupheus est une structure dernier cri et sélective, pour les élèves de 3 à 11 ans, sur un site spécialement aménagé au sud de la ville, à proximité de la sortie 12 de l’autoroute A22.
Une petite équipe d’éducateurs expérimentés est à l’origine de ce projet et c’est Penelope Best, bien connue pour ses activités éducatives et philanthropiques dans la région ces 18 dernières années, qui en sera la directrice. Au bord du Triangle d’Or de l’Algarve, célèbre pour ses complexes de luxes, ses golfs et les riches communautés étrangères, Eupheus est présentée comme une école primaire « où les enfants peuvent apprendre dans un environnement sûr et positif qui leur permettra d’adopter diverses stratégies d’apprentissage et les conduira à atteindre leurs propres objectifs éducatifs spécifiques ». Pour la directrice, « le moment était venu, car la demande en termes d’éducation primaire et secondaire d’élite est très forte. Nous offrons un programme moderne, avec des enseignants qualifiés et une technologie dernier cri Apple, comme l’iPad Eupheus. » Pour le moment, on compte 40 inscriptions, mais d’autres admissions sont attendues d’ici à la fin de l’été et des projets d’ouverture d’une école secondaire sur un site adjacent sont déjà d’actualité. Les familles britanniques étaient majoritaires dans les écoles internationales de l’Algarve. La démographie a considérablement changé, des élèves de France, d’Allemagne, de Russie et du Moyen-Orient sont également très présents. Tous les professeurs doivent avoir le statut d’enseignant qualifié (QTS), tandis que les frais de scolarité vont de 9 990 € en primaire et 13 000 € pour les niveaux secondaires.
DE LONGUES LISTES D’ATTENTE
Si les projets susmentionnés sont nés pour répondre à la demande d’un enseignement de qualité, en 2018 de nombreuses écoles n’avaient pas de places vacantes et plusieurs établissements ont signalé le problème récurrent des longues listes d’attente de centaines d’élèves. C’est le cas de la St. Julian’s School à Carcavelos, qui ayant atteint sa capacité d’accueil, a clos les inscriptions en janvier 2019. Cette prestigieuse école bilingue britannique fondée en 1932 compte 1 000 élèves de 45 nationalités différentes et ses frais de scolarités oscillent entre 1 412 € et 22 560 €, suivant les niveaux d’étude. Sa porte-parole, Catarina Coelho, conseille aux parents de présenter leur dossier le plus tôt possible : « La demande des familles du monde entier a considérablement augmenté ces dernières années, particulièrement depuis cinq ans. » Un constat partagé par la Nobel International School Algarve, près de Lagoa. Son directeur, Mike Farrer, précise que les longues listes d’attente ne reflètent pas toujours « la demande réelle, mais soulignent la réputation de l’école et la panique des familles face au manque de places. Les communautés scolaires internationales sont très mobiles, et il est important d’être en mesure de réagir aux changements démographiques. »
L’histoire de l’école internationale Vale Verde à Montinhos da Luz, près de Lagos, est tout à fait similaire : « La demande a augmenté d’environ 100 % depuis 2009, de 50 % en 2014 et de 20 % au cours des trois dernières années », explique la directrice Louise de Beer, qui a fondé en 2002 l’école où étudient actuellement 180 élèves. D’après elle, l’offre répond à la demande malgré l’intérêt croissant pour la région en raison de sa situation géographique. Les listes d’attente sont généralement d’un an : « Nous n’inscrivons les étudiants qu’une année scolaire à l’avance, la plupart d’entre eux vient de l’Union européenne et du Royaume-Uni, mais dernièrement, nous constatons de plus en plus d’inscrits des Etats du Golfe, du Moyen-Orient et du Brésil. » Le bouche-à-oreille, le climat et la sécurité relative du Portugal sont les raisons de cette recrudescence.
LES DÉLOCALISATIONS D’ENTREPRISES
Le nombre d’entreprises s’installant au Portugal est toujours plus important, notamment dans les différents parcs d’activités de la périphérie de Lisbonne, vers Oeiras et Cascais. L’International Sharing School, au Taguspark, ouvrira ses portes en septembre 2019, 85 % du total de ses élèves est de nationalité étrangère. Pour Miguel Santos, PDG de cette institution, l’offre ne répond pas à la demande : « Il y a d’énormes listes d’attente dans presque toutes les écoles internationales de la région du Grand Lisbonne et la sollicitation se poursuivra au fur et à mesure que le nombre d’entreprises augmentera. » Considéré comme une école-boutique, son campus d’une capacité d’accueil de 350 élèves a récemment acquis un autre bâtiment au sein du Taguspark, dans le but d’accueillir 1 000 étudiants. « Le mode de vie, le climat et la sécurité sont indéniablement les plus grands atouts du Portugal. De nombreux citoyens de l’UE et du Royaume-Uni s’installent ici pour le travail à cause de la délocalisation des sociétés », explique Miguel Santos.
Maria Barral, responsable du développement, du marketing et de la communication à la Carlucci American International School of Lisbon (CAISL), a constaté « une augmentation de la demande, en particulier ces dernières années ». Fondé en 1956 entre Cascais et Sintra, c’est le seul établissement américain au Portugal soutenu par le Département d’Etat et c’est l’une des rares écoles internationales sans but lucratif. Depuis trois ou quatre ans, le besoin a augmenté de 150 % : « Le nombre d’inscrits ne change plus depuis que nous avons atteint ce que nous considérons comme notre capacité maximum. Nous nous focalisons sur le développement et le maintien des meilleures conditions d’apprentissage, de petites classes et des ressources technologiques. »
DISPOSÉ À PAYER
Les années d’austérité au Portugal (2011-2015) sont encore dans la mémoire collective. Pourtant, beaucoup d’écoles se prétendent internationales, utilisant l’anglais étant comme langue d’enseignement et de nombreux établissements bilingues ouvrent ou sont sur le point d’ouvrir.
« Il est impossible de savoir si cette offre supplémentaire répondra à la demande ou si, au moment où elle sera établie, celle-ci aura diminué », ajoute Maria Barral.
« C’est une période très intéressante pour le pays en termes d’investisseurs étrangers, en particulier avec tous les programmes d’impôt de résidence mis en place depuis 2013 – le RNH, les Golden, Tech et Startup Visas – qui ont tous contribué, dans une large mesure, à l’évolution du paysage de la demande et à l’offre éventuelle des écoles pour y répondre », conclut Chitra Stern.
Chris Graeme