Almada, côté scène

Moins de centralisation, plus de circulation : un air nouveau souffle sur la scène lisboète, et il vient du sud. La compagnie de théâtre d’Almada offre aux amateurs de théâtre une programmation éclectique, où la langue de Molière tient un rôle de taille

Il suffit de traverser le Tage depuis Lisbonne pour changer de décor et d’ambiance. Sur la rive sud, Almada se dévoile, discrète mais bouillonnante, avec une énergie culturelle qui n’a rien à envier à sa grande voisine. À première vue, rien ne laisse deviner que cette ville aux faux airs tranquilles cache une des scènes théâtrales les plus vibrantes du pays. Et pourtant… 

C’est en 1978, quelques années après la Révolution, que tout a commencé. Un certain Joaquim Benite, journaliste passionné de drames et de comédies et visionnaire en diable, installe sa troupe dans une salle modeste de l’Académie Almadense. De cette impulsion naît la Compagnie de Théâtre d’Almada, qui finira par s’installer dans l’ancien marché municipal. Un lieu improbable ? Peut-être. Mais un lieu qui, dès 1988, devient le cœur battant de la création artistique locale. 

En 2005, le théâtre change de peau. Nouveau bâtiment, nouvelle ambition : le Théâtre Municipal Joaquim Benite ouvre ses portes dans une architecture bleu ciel qu’on croirait sortie d’un rêve géométrique. Dessiné par les architectes Manuel Graça Dias et Egas José Vieira, le lieu propose plusieurs salles, des équipements modernes, et surtout, une âme. 

Lisbonne est belle, certes, mais elle n’a plus le monopole théâtral, car aujourd’hui, Almada joue dans la cour des grandes, en offrant une alternative riche et dynamique. Un peu comme ces quartiers de l’autre côté de la Seine qui, à Paris, réinventent l’art loin des sentiers touristiques. Avec sa programmation éclectique, ses infrastructures au cordeau et une vraie volonté de proximité, la ville pose les bases d’un dialogue culturel entre les deux rives du Tage, ainsi qu’à l’international.

En effet, ce printemps, les planches « almadenses » ont tremblé sous les mots de Marguerite Duras. Du 14 mars au 6 avril derniers, la pièce « Un barrage contre le Pacifique » y a été jouée, dans une mise en scène d’Álvaro Correia. Un spectacle fort, brut, porté par une distribution habitée : Bruno Soares Nogueira et Teresa Gafeira ont su faire résonner toute la complexité des émotions humaines dans cette histoire de lutte et de résilience. Comme c’est le cas lors des spectacles créés par la compagnie résidente, chaque représentation est suivie d’une « conversation » avec des intervenants de différents univers ; pour cette œuvre, des discussions s’en sont ensuivies sur la colonisation, la décolonisation et les « retornados » (les pieds noirs portugais). 

Enfin, chaque mois de juillet, Almada se transforme en Avignon. Depuis 1984, le Festival de Théâtre d’Almada réunit troupes portugaises et internationales dans une joyeuse effervescence. En 2025, la 41e édition s’annonce déjà comme un cru d’exception. Spectacles, danse, musique, expos : la municipalité devient alors un véritable terrain de jeu pour les amoureux de la scène. Et cette année, un invité de marque traverse la Méditerranée : Marius, chef-d’œuvre de Marcel Pagnol, débarque sur la rive droite du Tage. Forte de son succès sur l’Hexagone, la pièce, portée par l’acteur Benjamin Lavernhe et orchestrée par Joël Pommerat, promet un vent du sud mêlant sel, amour et départs douloureux. 

Entre les effluves marins de Marseille et la douceur mélancolique lisboète, la magie devrait opérer. Sur les planches du Joaquim Benite, cette histoire de choix entre le cœur et l’horizon résonnera comme un écho lointain aux rêves d’exil, de retour, de racines. À ne manquer sous aucun prétexte !

Photos : RUI CARLOS MATEUS

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