Le Portugal a célébré la Journée du Portugal, dans une atmosphère chargé de fierté culturelle, de souvenirs historiques et de l’écho des mots de Luís de Camões, ce poète dont les vers ont autrefois donné une voix à un peuple en quête d’identité, de destin et de mer. Mais derrière les cérémonies officielles, une question plus silencieuse s’élève — une ombre que les feux d’artifice ne dissipent pas : celle du sentiment d’appartenance, ébranlé par la montée du parti d’extrême droite Chega sur la scène politique.
Dans un pays où beaucoup d’entre nous sont des invités, des nouveaux arrivants, ou entre les deux, que signifie réfléchir à l’identité nationale ? Que signifie « appartenir » lorsque l’on n’a pas grandi avec les poètes, les rites ou les codes d’une terre que l’on apprend encore à comprendre ?
Les élections de cette année ont marqué un tournant : Chega, autrefois marginal, est devenu le principal parti d’opposition. Pour certains, cela représentait une mise au point nécessaire. Pour d’autres, un signal d’alarme dans une démocratie fière de sa tolérance et de son ouverture. Pour nous, expatriés ou immigrés, cela soulève des interrogations délicates : avons-nous notre place dans un débat qui n’est pas initialement le nôtre ? Quel est notre rôle lorsque le climat politique commence à se transformer ?
En tant que psychothérapeute, j’ai souvent observé à quel point le besoin de certitude peut prendre le pas sur la nuance. Face à l’ambiguïté, l’être humain cherche la clarté — même si elle est teintée de peur, de colère ou de rejet. Ce réflexe n’est pas que personnel ; il peut traverser toute une société.
L’attrait de l’extrême droite repose souvent sur une promesse : restaurer un ordre supposément perdu. « Redevenons entiers », murmure-t-elle. « Protégeons ce qui est à nous. » Mais de quel « nous » s’agit-il ? Et qui décide où commence et où s’arrête ce « nous » ?
Le psychologue Carl Jung parlait de l’ombre : ces parts de nous-mêmes que nous refoulons, et qui finissent par être projetées sur les autres. Le Portugal, comme bien d’autres nations, porte en lui ses propres ombres : une histoire coloniale complexe, des inégalités économiques, des angoisses culturelles face à l’immigration. Quand elles ne sont pas reconnues, ces zones d’ombre peuvent se cristalliser en politiques ou en discours populistes qui tracent des lignes nettes entre « eux » et « nous ».
La Journée du Portugal devrait être une célébration de notre récit commun — de ce qui nous rassemble. Mais la mémoire, comme l’identité, est sélective. On se souvient des explorateurs, des poètes, des victoires. On évoque plus rarement l’occupation, les exils forcés, ou les exclusions. Et c’est dans cet oubli sélectif que la peur trouve un terreau fertile.
En thérapie de couple, je pose souvent cette question : « Quelle part de ce conflit t’appartient ? » C’est une invitation douce à l’introspection, à regarder en soi avant de pointer l’autre du doigt. À l’échelle d’une nation, la question reste pertinente. Quelle part de nos tensions politiques, de notre malaise social, est liée à des récits que nous n’avons jamais vraiment explorés ?
Une étude du Conseil européen pour les relations internationales, publiée en 2023, a montré que l’anxiété culturelle était un indicateur plus fort de vote en faveur de l’extrême droite que la précarité économique. Au Portugal, la peur de voir sa culture se dissoudre ou d’être dépassé par la mondialisation n’est pas rare. Mais la peur n’est pas une faute morale : c’est un signal. Elle peut devenir un point de départ, si nous savons l’écouter.
Comme l’écrivait Camões dans Les Lusiades : « Les temps changent, et nous changeons avec eux. » Ce vers, à lui seul, nous lance un défi : changer en conscience, et non par réflexe. L’identité nationale n’est pas figée. Elle évolue. Elle peut s’élargir. Elle peut s’ouvrir.
Alors, que signifie tout cela pour ceux d’entre nous qui ont choisi le Portugal comme terre d’accueil — que ce soit pour quelques années, pour toujours, ou quelque part entre les deux ? Cela signifie être attentifs. Cela signifie reconnaître la peur sous nos convictions. Cela signifie interroger nos propres croyances : sont-elles justes ? Sont-elles inclusives ? Sont-elles vivantes ?
Dans mon cabinet, j’ai appris que la croissance ne vient pas du déni des conflits, mais de leur traversée consciente. Le Portugal est peut-être à un moment similaire. La montée de Chega ne reflète pas l’ensemble du pays, mais elle révèle une part bien réelle — une part qui crie, parfois supplie, d’être entendue. Le défi est de savoir écouter sans se laisser emporter par la peur.
Et si, cette année, au lieu des drapeaux et des feux d’artifice, nous marquions la fête nationale autrement ? Par une pause. Une réflexion. Une conversation avec un voisin que l’on ne connaît pas encore. On peut apprécier la poésie du passé même si elle n’a pas été écrite dans notre langue maternelle. On peut honorer l’héritage d’un autre tout en affirmant son propre parcours — et les croisements qu’il fait ici.
Le psychologue Rollo May disait : « L’opposé du courage dans notre société n’est pas la lâcheté, c’est la conformité. » Soyons assez courageux pour ne pas nous conformer à nos peurs, mais pour les dépasser — par le dialogue, par l’écoute, et par une vision d’un Portugal qui appartient à tous ceux qui le choisissent.
Parlons non seulement de fierté, mais de liens. Souvenons-nous de Camões non seulement pour ses mots, mais pour ce qu’il incarne : une voix en quête de sens dans une mer agitée. Et souvenons-nous, surtout, que dans notre recherche du « nous », il ne faut pas créer trop de « eux ».
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