Lorsque la récente panne de courant a balayé certaines régions du Portugal et de l’Espagne, quelque chose d’inattendu s’est produit. Pendant quelques précieuses heures, nos appareils se sont éteints. Plus de notifications WhatsApp. Plus de voyants clignotants. Plus de messages exigeant une réponse. Juste du calme – électrique et émotionnel – dont je n’avais pas réalisé que j’avais besoin, jusqu’à ce qu’il s’installe.
Ce que j’ai ressenti, durant cette parenthèse de déconnexion forcée, ce n’était pas de la panique. C’était du soulagement.
Plus d’obligation de répondre à une publication, de réagir à une photo, ou à un mème transféré. Plus cette impression que je décevrais quelqu’un en ne prenant pas part au tumulte numérique. Dans le silence qui a suivi la coupure, j’ai été frappé(e) par à quel point nous sommes pris dans un cycle de réponses digitales – un cycle auquel nous n’avons jamais vraiment consenti, mais dont nous ne savons plus comment nous extraire.
Nous sommes pris dans une boucle de performance et de validation. On nous félicite d’être réactifs, on nous encourage à rester « connectés », mais on ne se demande presque jamais à quoi – ou pourquoi. En vérité, la plupart du temps, ce n’est que du bruit. Du bruit des réseaux sociaux. Envahissant, incessant, émotionnellement épuisant, et curieusement vide.
On nous ajoute à des groupes WhatsApp sans qu’on l’ait demandé, et on ressent une petite fierté d’avoir été « choisi » – un bref instant de valorisation. Mais très vite, ce frisson d’inclusion devient une obligation. Un fil de plus à suivre. Un espace de plus où le silence est perçu comme une distance. Un endroit de plus où l’on met en scène notre présence.
Le philosophe Søren Kierkegaard nous avait prévenus : « L’état actuel du monde et de la vie entière est malade. Si j’étais médecin et que l’on me demandait conseil, je dirais : créez du silence. » Nous vivons à une époque où le silence est devenu un luxe. Ce n’est pas seulement le bruit extérieur, mais aussi la pression intérieure de toujours répondre, toujours interagir, toujours suivre le flot continu d’informations.
Cette performance dépasse les simples messages. Nous avons commencé à vivre vers l’extérieur, à raconter et exposer plutôt qu’à simplement vivre. Nous prenons des photos avant même d’avoir goûté le plat. Nous annonçons notre joie, notre deuil, nos réussites et nos moments ordinaires non pas seulement pour informer, mais pour prouver. Pour démontrer que nous sommes « dedans » – actifs, engagés, pertinents. « Nous devons repenser notre rapport au monde numérique. Plutôt que de laisser ce monde dicter nos rythmes, apprenons à définir les nôtres. »
Et au moment où nous publions, nous attendons. Des likes. Des commentaires. Une validation que notre expérience compte pour quelqu’un d’autre. C’est une faim de reconnaissance extérieure déguisée en vie normale. L’ironie, c’est qu’en façonnant notre vie pour répondre aux attentes des autres, nous perdons contact avec la nôtre. Notre boussole intérieure – silencieuse, stable, intuitive – est noyée dans le vacarme des réseaux.
On parle rarement du coût de tout cela. La fatigue subtile de répondre à des dizaines de messages par jour. La culpabilité d’ignorer une mise à jour. L’effort émotionnel de rester poliment enthousiaste dans dix groupes de discussion différents, même quand on se sent vidé. Ces coûts s’accumulent. Ils diluent notre attention, brouillent nos priorités, et grignotent peu à peu notre clarté mentale.
Simone Weil, dans sa méditation sur l’attention, affirmait que « l’attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité ». Mais à quel point sommes-nous réellement généreux de notre attention quand elle est sans cesse happée par la prochaine notification ? Notre attention est tirée, étirée, fragmentée, au point qu’elle n’est plus disponible pour les moments et les liens qui comptent vraiment.
Nous sommes surstimulés mais sous-nourris. Entourés de communication constante, mais toujours seuls. Tirés dans toutes les directions, sans jamais retrouver un centre. L’autrice Anne Lamott a écrit un jour : « Presque tout refonctionne si on le débranche quelques minutes, y compris vous. » Et pourtant, aujourd’hui, se débrancher est plus difficile que jamais. Nous sommes plus connectés, mais de manière à nous vider émotionnellement, et à nous déconnecter de nous-mêmes.
Nous devons nous recalibrer. Se déconnecter occasionnellement ne suffit plus ; il faut repenser en profondeur notre rapport au numérique. Plutôt que de le laisser imposer nos rythmes, nous devons apprendre à imposer les nôtres. Un élément clé de ce recalibrage, c’est de protéger nos limites. Si nous ne prenons pas activement en charge notre temps et notre énergie, le bruit des réseaux continuera de nous submerger.
Il nous faut même inventer une nouvelle étiquette – non seulement pour nos échanges numériques, mais pour la manière dont nous gérons notre présence émotionnelle dans ces espaces. Comment répondre ? Quand prendre du recul ? Et surtout, quand s’autoriser à ne pas répondre du tout ?
Voici comment :
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Créez des pauses. Laissez-vous vivre des moments sans ressentir le besoin de les transformer en publications.
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Répondez lentement. Si ce n’est pas urgent, laissez de l’espace avant de répondre.
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Donnez le ton dans les groupes. Le silence n’est pas un manque de respect – c’est parfois du repos.
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Utilisez votre présence avec intention. Mieux vaut être présent avec sens que toujours disponible.
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Laissez votre téléphone redevenir ennuyeux. Reprenez possession de votre attention, elle est précieuse.
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Ne courez pas après la lueur de l’inclusion – cultivez l’intimité dans des espaces plus rares, plus calmes.
Je ne demande plus aux gens de « comprendre » quand je prends du recul. Je le fais. C’est tout.
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