C’est la période des naissances de notre voisine la hulotte, peu farouche et habituée à la présence humaine
Il faisait déjà nuit lorsque je rejoignais mon véhicule, à Sâo Domingos De Rana, près de Lisbonne. Mais au moment d’ouvrir ma portière, je perçus un son chuintant, répétitif, aigu provenant d’un bosquet de grands arbres. Nul doute, il s’agissait bien de jeunes hulottes fraîchement sorties du nid ! La proximité de deux immeubles éclairés n’avait donc pas gêné ces oiseaux et cela ne m’étonnait pas car la présence humaine n’est pas un obstacle à leur installation. Je m’immobilisai pour écouter. C’est à ce moment que le chant de l’adulte me parvint comme une déflagration. C’était un avertissement, une menace, l’oiseau s’étant aperçu de ma présence non loin de ses petits. Inutile d’insister et de les déranger davantage. Je ne prendrai pas le risque de m’aventurer dans le sous-bois la nuit car la hulotte, dont le vol est très silencieux, peut se montrer agressive. Le photographe Hosking en fit la douloureuse expérience en voulant faire de trop bons clichés : il y perdit un œil ! Cette chouette aux grands yeux noirs peut atteindre un mètre d’envergure. C’est un oiseau plutôt trapu, avec une grosse tête ronde. Sa couleur varie du gris cendré barré de noir au roux du plus bel effet. Elle peut vivre environ vingt ans. En France où elle est assez commune, les poussins sortent du nid entre le 15 avril et la fin mai. Cependant, j’ai eu l’occasion d’observer un jeune à Nice en Janvier. Il faut dire qu’en pleine ville l’éclairage public perturbe la reproduction de ces oiseaux en agissant sur leur système glandulaire. Dans la journée, la femelle veille sur ses jeunes en restant à proximité du nid avant même qu’ils soient sortis. Elle émet de temps en temps des sons très doux, comme pour les rassurer. Elle peut aussi les avertir d’un danger et gare à la corneille qui s’aventure dans les parages ! Les parents s’occupent des jeunes pendant plusieurs mois et leur apprennent à chasser. A noter que si l’on trouve un poussin de hulotte à terre et à moins qu’il soit blessé, il faut le placer en hauteur et ne pas le ramasser : les parents s’en occuperont. Les choix alimentaires de cette espèce sont très éclectiques : surtout des petits rongeurs, quelques oiseaux, des insectes, des grenouilles, des tarentes, et des rats. Personnellement j’ai vu un adulte posé sur une branche, un de ses jeunes placé de chaque côté et distribuant alternativement à chacun d’eux des morceaux du rat qu’il dépeçait. A la fin il n’y avait plus que l’arrière train avec la queue que l’un d’entre eux a avalée. L’extrémité dépassait de son bec et il a mis 20 mn pour l’engloutir en totalité, après s’être contorsionné de toutes les façons ! Contrairement à ce que l’on pensait, leur vision est très bonne dans la journée et ils ne sont éblouis que la nuit par les voitures qui en détruisent un grand nombre. En fait, ils chassent surtout à l’ouïe et sont capables de localiser une proie et de la capturer même par nuit totalement noire. Cette capacité est due à une particularité anatomique : les deux oreilles, situées au-dessus des yeux sous forme de fentes, sont placées à des niveaux différents, chacune ayant sa propre perception des bruits. La hulotte est donc un oiseau que la présence des humains gêne peu puisqu’elle va parfois jusqu’à nicher dans les bâtiments. Son utilité n’est plus à démontrer. Bien que son chant puisse paraître inquiétant à certains, c’est une présence sympathique qui témoigne de ses grandes facultés d’adaptation et donc de son intelligence.
Philippe Picon