Ces espaces de travail, soutenus par la municipalité, fleurissent un peu partout dans la capitale portugaise. Le but ? Attirer la nouvelle génération de nomades numériques internationaux.
Texte Marina Watson
Dans le quartier de Marvila, près du Tage à Lisbonne, se trouve une ancienne usine de production de vin. De l’extérieur, elle a la même apparence depuis cent ans. Cependant, à l’intérieur, un espace de coworking est désormais à la disposition des nomades numériques branchés. Directrice associée et fondatrice du WorkHub LX, Sara de Praetere, titulaire d’une maîtrise en administration des affaires (MBA) de l’université Católica de Lisbonne, passait régulièrement devant l’usine Abel Pereira da Fonseca en 2015, lorsque sa mère, l’architecte Maria Manuel, décida de la rénover.
« Ma mère était vraiment passionnée par ce projet. Elle a grandi dans le quartier et le connaît comme la paume de sa main. J’ai donc commencé à réfléchir à ce que nous pouvions faire dans cet espace », explique Sara de Praetere, qui pense alors au coworking, car il n’y en avait pas à Lisbonne. Toutes deux sont ainsi allées au bout de leur idée, remportant même le prix national de rénovation urbaine un an plus tard.
« Lorsque nous avons commencé à le louer, le rez-de-chaussée avait été inondé et il y avait d’énormes trous dans le plancher. C’était dangereux de s’y promener », se souvient Sara. Maria Manuel a conservé les caractéristiques originales de l’édifice et les changements ont été minimes, laissant place à un espace ouvert de 200 m2, ainsi qu’à plusieurs « hubs » baignés de lumière naturelle et dotés de plafonds en bois.
Des gens du monde entier et de secteurs différents, du marketing à l’architecture en passant par l’informatique, travaillent désormais ici. Ils sont attirés par le faible coût de la vie à Lisbonne, le beau temps, le surf et le fait qu’on puisse y parler anglais sans problème. Ces dernières années, un certain nombre d’espaces culturels, de cafés, de bars et de galeries d’art ont vu le jour à Marvila, devenu le dernier quartier branché de la capitale. « Nous avons ouvert le premier espace de coworking dans l’est de la ville et assisté depuis à l’arrivée de nombreux ressortissants étrangers. Avant 2015, personne ne venait à Marvila, souligne Sara. C’était l’un des quartiers endormis de Lisbonne. » Ces espaces de travail, qui occupent des bâtiments récemment rénovés et qui accueillent des start-up, fleurissent aujourd’hui un peu partout, soutenus par le gouvernement portugais.
Lisbonne semble avoir rattrapé des villes comme Londres, où l’espace de coworking Second Home a été lancé en 2014, dans un ancien entrepôt de tapis. Ce lieu original, décoré de centaines de chapeaux accrochés au plafond, a attiré des investisseurs comme Index Ventures ou encore le patron du réseau social Bebo, Michael Birch. Cofondateur de Second Home, Rohan Silva (qui était l’un des conseillers politiques du Premier ministre britannique David Cameron), en a fait la plate-forme la plus branchée pour les entrepreneurs émergents de la capitale britannique, en encourageant le sens de la communauté et de la collaboration via des déjeuners préparés par un grand chef et des soirées dansantes.
Ce dernier s’est rapidement intéressé au Portugal, pour ses projets d’expansion et l’attribution de l’organisation du Web Summit sur deux ans. « A l’heure actuelle, Lisbonne ressemble à l’est de Londres, juste avant l’explosion de la communauté technologique, explique Rohan Silva au site d’information américain TechCrunch. C’est une ville en pleine effervescence, mais il n’y a pas assez de places pour que les créatifs se rassemblent. Aussi, les grandes entreprises se réduisent, de plus en plus de gens deviennent entrepreneurs et l’infrastructure des villes doit évoluer pour suivre le rythme. »
Second Home a lancé ses premiers bureaux à Lisbonne en 2016, plus précisément au Mercado da Ribeira, le plus ancien marché alimentaire de la capitale. Près de Cais do Sodré, donc, ce bâtiment du XIXe siècle a été transformé, par le studio d’architecture espagnol SelgasCano, en un espace ouvert de 1 115 m², rempli de plantes, de tables courbées et de chaises vintage. L’open space est peint en blanc, tandis que le coin des loisirs, bleu foncé, dispose d’un bar et d’un café.
Lucy Crook, dont l’agence de publicité londonienne pour laquelle elle travaillait se trouvait juste en bas de la rue de Second Home, avait l’habitude de s’y rendre pour déjeuner. Il y a quelques années, la jeune femme a abandonné Londres pour ouvrir un studio de yoga à Lisbonne. Très vite, elle s’est impliquée dans le programme de bien-être du Second Home lisboète, avant d’en prendre la directrice générale.
« Ici, les gens aiment le style de vie, le surf et le beau temps. C’est moins intense que de vivre à Londres ou à Paris. Ici, le bien-être est notre priorité, souligne-t-elle. La frontière entre le travail et la maison est devenue plus floue. Aujourd’hui, vous pouvez travailler à partir de votre téléphone ou depuis la plage. Les gens sont plus exigeants avec leur environnement de travail et ils accordent davantage d’importance à leur mode de vie. »
Le programme de bien-être hebdomadaire de Second Home comprend un club de combat (arts martiaux) le midi, du Pilates, du yoga et même de la voile ou du surf le week-end. Il y a aussi des concerts, des conférences et une bibliothèque. Parmi les membres figurent des employés du magazine Vice Portugal, de l’application de commande de nourriture Levoo et de Mercedes-Benz.
« Au sein de notre espace de travail partagé, nous maintenons l’esprit de communauté et nous créons des relations commerciales, explique Lucy Crook. Donc, si vous êtes une start-up et que vous avez besoin de quelqu’un pour concevoir votre logo ou si vous recherchez des sponsors, nous vous présenterons la personne idéale. »
L’idée étant également que différentes entreprises et individus puissent s’inspirer et trouver des idées ensemble. Prenez par exemple Cushman & Wakefield, leader mondial de l’immobilier d’entreprise, qui a créé un incubateur au Second Home de Londres et qui a fini par faire équipe avec le studio Visualize : ensemble, ils proposent désormais des vues de propriétés en réalité virtuelle.
Les espaces de coworking offrent aux habitants de Lisbonne la possibilité de se connecter, ce qui a amené Tom Davis à fonder Cowork Central en 2013, également à Cais do Sodré. « Je travaillais chez moi en tant que pigiste et je m’ennuyais, explique ce dernier. Les autres amis indépendants que j’avais étaient confrontés au même problème. Nous avons donc trouvé cet espace et avons fini par le transformer en entreprise. »
Avec vue sur le Tage, Cowork Central était un hôtel il y a environ 200 ans. « Il a beaucoup de charme et d’histoire, c’est un espace original », souligne le nouveau propriétaire. Une cinquantaine de personnes fréquentent le lieu et Tom Davis prévoit d’en ouvrir un deuxième à Príncipe Real, un quartier connu pour ses boutiques et ses restaurants chics, qu’il considère plus adapté aux familles. « C’est important que les gens qui viennent dans une nouvelle ville aient une base et un réseau, explique-t-il. Les Portugais veulent aussi avoir une vision plus internationale. Il s’agit donc de fusionner les deux groupes pour créer des liens entre les étrangers et les locaux. Nous voulons attirer des gens qui sont là pour le long terme et qui veulent y construire leur vie. »
En plus de la connexion wi-fi disponible et de la possibilité de faire des rencontres professionnelles, il sera même bientôt possible d’emmener son animal de compagne dans l’un de ces espaces de coworking. « Nous avons de grandes surfaces et il y a toujours de l’eau et de la nourriture pour les animaux, ainsi qu’un parc à proximité », souligne Vera Fijan, qui travaille au sein d’un espace fondé par Kiko Simões Gaspar, dirigeant d’une agence de communication à Londres et maître d’un braque de Weimar prénommé Maria Amalia, qui l’accompagne presque partout. Les amoureux des animaux de compagnie peuvent être issus de tous les milieux professionnels, même si le lieu ouvert par ce dernier à Lisbonne essaye d’attirer des entreprises dans les secteurs du luxe, de la mode et du lifestyle. Son autre atout est l’organisation d’un événement appelé Iconbooth, lors duquel les collaborateurs peuvent créer leur propre portrait avec la photographe Marta Lamovsek.
Le réseau d’espaces de coworking dans la capitale portugaise n’a cessé de grandir, avec la récente apparition du Lisbon Art Center & Studios, connu sous le nom de LACS, qui était un ancien bâtiment pour les dockers. Doté de 5 000 m2 et d’un rooftop qui surplombe le Tage, il est aujourd’hui exclusivement dédié aux exprits créatifs. « Nous voulions promouvoir l’art, en faire un élément central et inspirant », explique Gustavo Brito, fondateur du LACS. Le mois dernier, les invités ont pu apprécier, lors de l’inauguration officielle, une énorme toile du photographe Jorge Molder sur le devant du bâtiment, au rez-de-chaussée. Au programme : une expo d’art éclectique et un DJ set sur le rooftop arrosé de cocktails. Brito conclut : « Les travailleurs indépendants sont de plus en plus autonomes, ils peuvent bosser où et pour qui ils veulent. Ils sont très libres. »