Qui aurait cru qu’une industrie de produits, principalement faits main, deviendrait un tel succès. Les chaussures portugaises en sont bien la preuve.
Par Ana Tavares
L’année 2014 a marqué l’histoire de l’industrie de la chaussure portugaise: ces 12 mois ont vu les chiffres d’exportation les plus élevés de tous les temps, ce qui représente un total de plus de €1,8M. Les chiffres révélés par Paulo Gonçalves, porte-parole de l’APICCAPS (l’Association des Fabricants de Chaussures, Composants et Produits en Cuir Portugais), reflètent une image brillante: jusqu’à septembre de l’année dernière, les exportations avaient augmenté de 6% et l’industrie a terminé l’année avec près de 38,000 emplois, dans quelques 1,500 entreprises et 77 millions de chaussures exportées dans 132 pays. Vous pourriez dire que la campagne de promotion d’APICCAPPS de 2014, qui intitula l’industrie de la chaussure “L’industrie la plus sexy d’Europe”, fut une prophétie auto-réalisatrice.
La Commission Européenne, en effet, semble être d’accord sur ce titre. En novembre 2013, le jury l’a nommée la meilleure initiative dans la catégorie de support à l’internationalisation des entreprises, lors des Prix Européens de Promotion de l’Entreprise, laissant d’autres grandes industries, telle que celle du Champagne français, dans son sillage.
Il gagne peut-être des prix et croît en période de récession, mais ce secteur n’est pas né avec des gènes de mannequin. Être sexy est un travail difficile et pour se transformer, ce “vilain petit canard” s’est appuyé sur le soutien précieux d’APICCAPS. “Le secteur élabore des plans stratégiques réguliers depuis 1978”, explique, par téléphone, le porte-parole de l’association. “Nous présentons notre situation actuelle tous les sept ans et faisons une analyse exhaustive du secteur, dans lequel nous essayons de repérer des occasions et de trouver des réponses pour les tendances universelles.” Créés avec diverses entités de l’industrie et organismes indépendants, ces plans guident les fabricants de chaussures, de manière à répondre aux besoins évolutifs du marché.
La plupart des fabricants de chaussures sont basés dans le nord du pays, dans des villes comme Guimarães et au sud de Porto. Cependant, Paulo Gonçalves s’empresse de dissiper l’idée que ce sont encore de petites entreprises dirigées par des hommes d’affaires, avec peu ou pas de formation. “Cette idée était vraie au début, mais aujourd’hui les entreprises de chaussures ont en moyenne 30 employés – la moyenne de l’UE est d’environ 17. Les choses ont également changé en terme de formation. Beaucoup de ces entreprises sont maintenant exploitées par les propriétaires d’entreprises de deuxième ou troisième génération, avec des diplômes en droit, gestion ou marketing et qui sont en train de faire évoluer le marché”.
Tout a changé dans les années 1960, lorsque le Portugal a rejoint la CEE et a signé l’accord de libre-échange. “Nous avons toujours su que l’exportation était la voie à suivre”, rappelle Paulo Gonçalves.
Aujourd’hui, un exportateur d’excellence pour l’UE, l’industrie de la chaussure portugaise est hautement respectée dans les pays tels que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, et se développe rapidement en Angola, Russie et Chine, où elle est déjà le septième plus grand fournisseur de chaussures. Le leader mondial dans de nombreux secteurs, la Chine, ne peut pas rivaliser avec la qualité portugaise: tandis que le prix de l’exportation d’une paire de chaussures portugaises est de plus de €22 (dépassé seulement par l’Italie), les Chinois ne peuvent pas vendre une paire pour plus de €3.
Une fois la stigmatisation de l’étiquette “Made in Portugal” surmontée (grâce aux campagnes de marketing intelligentes d’APICCAPS – le prix d’exportation par paire a augmenté de 25% au cours des trois dernières années), le chemin a été fructueux: l’innovation du design prospère (comme on le voit dans les designs audacieux de marques telles que FlyLondon et plus récemment Guava) et les chaussures portugaises sont sur les lèvres – et les pieds – de tout le monde, y compris la pop star Rihanna (qui a choisi le Portugal pour produire sa propre ligne de chaussures) et Barack et Michelle Obama.
Les acteurs du secteur eux-mêmes reconnaissent ce changement: “Nous sommes devenus un secteur dynamique qui est extrêmement concurrentiel au niveau international,” explique le designer Luís Onofre, qui crée certaines des chaussures les plus luxueuses pour femmes.
C’est lors de ses études de design de chaussures et d’accessoires (qu’il a entrepris après avoir obtenu son diplôme des Beaux-Arts à Porto) qu’Onofre révèle être tombé amoureux de l’art de la création de la chaussure. Aujourd’hui, le designer dit que ses clientes – qui viennent du monde entier, (en effet 97% de sa production, soit environ 65,000 paires de chaussures, a été exportée en 2012) – sont “des femmes qui aiment les belles chaussures”.
En réalité, belle est un euphémisme. Extrêmement féminines et faites avec les meilleurs matériaux (le designer a même un partenariat international avec Swarovski), les chaussures de Luís Onofre sont synonymes de qualité et de goût. Comme beaucoup d’autres entrepreneurs dans le secteur, le designer a également conservé le savoir-faire de la famille lorsqu’il a repris l’usine qui appartenait à sa grand-mère, Conceição Rosa Pereira, en 1993. Six ans plus tard, il a lancé sa propre marque, un geste audacieux à un moment où beaucoup d’usines du pays ne disposaient pas de leurs propres marques, ni n’investissaient dans le secteur du luxe. Le résultat d’une telle audace peut être vu au numéro 247 de l’Avenida da Liberdade, à Lisbonne, le premier magasin phare du designer, inauguré en janvier l’an dernier.
C’est au son de la guitare portugaise que les visiteurs du siteweb de Carlos Santos peuvent entrevoir les collections de la marque, créée il y a 12 ans. Bien que la première marque internationale lancée par l’homme d’affaires portait un nom étranger – MackJames, créée il y a 35 ans -, Ana Santos, directeur de marketing, souligne que “nous n’avons jamais caché les origines du produit”.
Fille du propriétaire, Ana nous dit, par courriel, que son père a rejoint Zarco – une usine de chaussures basée dans le nord, fondée en 1942 – il y a 42 ans, en tant qu’employé de bureau. Captivé par le processus de la production, Carlos est passé par différents postes dans l’entreprise avant d’acheter sa première action en 1987, et aujourd’hui, il est associé gérant. Utilisant le système de couture Goodyear dès le début, dans lequel la production manuelle est clef et les machines ne sont utilisées que comme complément, la marque a toujours investi dans la qualité. Tout d’abord, avec MackJames, qui a un magasin à Bruxelles, puis avec Carlos Santos, qui présente deux lignes: Santos by Santos et la plus récente Green Label. Produisant environ 90,000 à 100,000 paires de chaussures par an, les principaux marchés du groupe sont la Belgique, la Hollande, la France, l’Allemagne, la Russie et le Japon, où les clients masculins apprécient les chaussures de qualité de la marque, fabriquées avec des matériaux “d’une qualité inégalée” apportés de France et d’Italie (une paire de la ligne best-seller du groupe, Santos by Santos, coûte environ €280). L’objectif est désormais d’atteindre les États-Unis. “C’est un énorme marché, plein de possibilités”, explique Ana Santos. Tout comme le secteur lui-même, en fait, note Paulo Gonçalves: “C’est un secteur qui crée des emplois et des opportunités de carrière. Nous avons des travailleurs extraordinaires, hautement qualifiés. Seule l’Italie nous dépasse, mais nous nous efforçons pour arriver au top.”
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