A fond les claquettes !

C’est un personnage de Lisbonne et de bien au-delà. Originaire de Paris, Michel s’est exilé il y a quarante ans au Portugal. Musicien et danseur, il est notamment connu pour avoir initié aux claquettes ce pays qu’il aime depuis toujours et qui le lui rend bien. 

Texte Vincent Barros

Les yeux clair azur et les traits marqués de cette figure historique de Lisbonne achèvent d’en faire une vraie gueule de cinéma, de celles qui impriment la mémoire. La sienne est toujours coiffée d’un béret ou d’un chapeau, selon les humeurs et les saisons. Sitôt qu’il sourit, son visage s’illumine et le monde avec. Car Michel – dont le regard est l’allégorie même de la bonté – est un univers à lui tout seul, qu’il s’est inventé entre Paris et Lisbonne, l’accordéon et les claquettes.

Dans les rues de la capitale portugaise, où l’on peut apercevoir sa silhouette élancée depuis quarante ans, on ne l’appelle que par son prénom. Rebiffe, son nom de famille, s’est effacé devant celui de l’artiste : Michel de Roubaix. « Ce nom, c’est une fantaisie, sourit-il. Je l’ai pris en arrivant ici. Ça vient d’un film que j’ai vu jeune, ça s’appelait “Les Amis” [de Gérard Blain, sorti en 1971] et la bande originale, de François de Roubaix, m’a longtemps accompagné. Ça résonnait en moi. »

Musicien (il joue aussi du piano et de la contrebasse) et danseur, Michel est d’abord un flâneur. Un tournant majeur de sa vie et de sa carrière en témoigne : son exil au Portugal. En 1978, le titi parisien se trouve en gare Montparnasse. « J’avais envie de changer de vie, de nature, d’aventure. La destination Lisbonne est apparue sur le grand panneau, ça s’est passé comme ça. Un peu par hasard. »

Débarqué à Santa Apolónia, l’homme est frappé par la misère alentour, visible sur les devantures des boutiques, jusque dans la qualité de leurs fruits et légumes. « Le décalage avec Paris était tellement fort… » Mais bien qu’il n’en connaisse pas la langue, Michel tombe raide amoureux du Portugal. « D’abord pour sa grande culture, précise-t-il. La musique, le théâtre, la danse, les arts plastiques… » Des milieux qu’il fréquente rapidement. 

Il a alors 30 ans et doit se réinventer. Que sait-il faire ? Danser. A l’école des jeunes de Neuilly, il s’était en effet initié aux claquettes lors des cours de Jean-Pierre Cassel – « il y avait un monde fou » –, avant d’intégrer, plus tard, la troupe Paris Claquettes Show. Un bagage dont il va tirer parti. « J’ai réalisé que personne n’en faisait ici, c’est dingue. Donc j’ai décidé d’apprendre ce que je savais aux copains. Et ça a fait boule de neige. » Après avoir fait danser des milliers de Lisboètes et Portugais, Michel a fini par intégrer l’école de danse du Conservatoire national, où il donne des cours depuis vingt-cinq ans. « C’est un conte de fées. Je ne me suis jamais étiqueté professeur de claquettes, j’étais Michel, reconnaît-il humblement, dans un français désormais mâtiné de portugais. J’enseignais, ponto. »

Avant d’être connu et reconnu, le Parisien a franchi des pas autant qu’il en a dansé. Son histoire – qu’il conte de sa voix singulière, au timbre chaud –, s’est d’abord écrite au Chapitô, alors niché dans le Bairro Alto. Dans les années 1980, l’acteur Mariano Franco y dirigeait une école de cirque et s’occupait des chorégraphies, entouré d’Anglaises. « A l’époque, les impresarios aimaient bien les blondes », précise Michel, qui ne connaîtra Mariano Franco que six mois, jusqu’à sa mort, avant de reprendre son flambeau, à l’invitation de Teté (Teresa Ricou, la « femme-clown »), la directrice du Chapitô.

« Quand je n’ai eu plus rien à enseigner, je suis parti à New York, en 1993. A l’époque, c’était une aventure, c’était génial. Je devais rester quinze jours, j’y suis resté trois mois. Pour progresser, j’ai suivi des cours au Broadway Dance Center, au Step et surtout au Woodpeckers Studio. A fond les claquettes ! » Dans ce pays où l’on célèbre chaque 25 mai le National Tap Dance Day, Michel vit son « american dream ». Le petit Français remarque très vite que beaucoup d’artistes et de musiciens animent les rues de New York. « Je me suis fait envoyer mon accordéon et j’ai commencé à jouer à Union Square, j’ai été très, très bien reçu. Je me faisais 300 dollars par jour, c’était incroyable ! », raconte-t-il.

Lui vient alors l’idée qui fera son succès : jouer de son instrument et danser des claquettes en même temps. « J’avais mes chaussures, une planche en bois, je suivais les rythmes des vieilles chansons françaises. Ça marchait très bien. Quand je suis rentré au Portugal, ça a été une explosion. » Dès lors, on l’appelle pour des workshops de fin de semaine, afin d’initier les intéressés. « Trás-os-Montes, le Minho, Madère, les Açores… partout. » Des écoles essaiment, ses élèves prennent le relais. 

Aujourd’hui, Michel enseigne toujours, au Conservatoire et dans son école de danse, près de la gare Santa Apolónia, là où tout a commencé. Le dimanche, jour de brocante à la LX Factory, on le trouve aussi dans l’espace qu’il a créé et baptisé Pétaouchnok, au deuxième de la librairie Ler Devagar, dont il est « socio » depuis deux décennies. Tout son univers est là : suranné, charmant. « Je l’ai appelé Pétaouchnok, parce que tout le monde en a entendu parler, mais personne ne sait où c’est précisément », se marre Michel, qui joue de l’accordéon et partage l’espace avec son « grand ami » italien Pietro Proserpo, « un gars génial », ancien ingénieur aéronautique, qui fabrique de drôles de machines. En décembre, le Français invitera Nadia Baggioli, une copine italienne également, « à exposer sa collection de jouets anciens, très chouettes, que les gens pourront acheter ». 

Enfin, quand il ne danse pas ou ne donne pas de concerts pas avec son groupe Cadernos de Viagem partout au Portugal, Michel s’adonne trois matinées par semaine à de longues « caminhadas » (promenades, en portugais) dans la Margem Sul. « Mon point de départ, c’est la plage de Fonte da Telha. Parfois, des gens m’accompagnent. Nos balades sont, disons, contemplatives. On prête attention aux odeurs, au paysage, le long de la falaise. Au niveau du Lagoa de Albufeira, à Sesimbra, je me baigne. C’est une grande source d’énergie dans un cadre sauvage. »

Il y a deux ans, le Diário de Notícias lui avait consacré un long portrait, intitulé « Depuis trente-huit ans en vacances au Portugal ». Un titre qu’il ne récuse pas et dont il sourit, même. « Je me sens encore en vacances, conclut-il. J’ai toujours pris du temps pour moi, pour combler un vide intérieur, pour me ressourcer. Etre bien sans rien faire. Flâneur, même si j’ai des projets consistants. »

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