BIEN PLUS QU’UNE RUE

Par amour de la mode, de l’artisanat ou bien seulement par curiosité, les merceries de Rua da Conceição nous invitent à remonter le temps.

Si vous êtes à la recherche de « perles rares » pour vos confections, sachez que la mode n’a pas de secret pour ces enseignes ancestrales. Les merceries de la Rua da Conceição sont de véritables musées de la couture. D’ailleurs, si nous revenons un peu en arrière, l’histoire de la rue elle-même nous renvoie au pourquoi du comment.

Au XVIIIe siècle, sous le règne du roi José Ier, Lisbonne est métamorphosée à la suite du tremblement de terre de
1755. La reconstruction du centre-ville se fait progressivement et le 5 novembre 1760, le roi inaugure la pratique
d’attribution des noms de rues par décret en répartissant les différentes branches du commerce et de l’artisanat.
Les pouvoirs publics interviennent alors dans la toponymie, nommant 14 rues situées entre la Praça do Comércio et le Rossio, dont la Rua Augusta, la Rua dos Douradores, la Rua dos Correeiros, la Rua dos Sapateiros et la Rua da Conceição.

Cette dernière, anciennement connue sous le nom de Rua dos Retroseiros, puis renommée Rua da Conceição à cause de sa proximité avec l’église de Conceição, accueillait douze merceries lors de sa création. Malheureusement aujourd’hui elle n’en compte plus que cinq.

Parmi les cinq merceries encore existantes, Alexandre Bento, est la plus ancienne de la chaussée. Fondée en 1898 par Alexandre lui-même et tenue par sa famille jusqu’en 1998, date à laquelle Alfredo Ricardo, l’employé fidèle, rachète la mercerie. Alfredo nous confesse avec une certaine nostalgie, qu’il y a 40 ans, une interview comme celle-ci en pleine journée aurait été inconcevable. La boutique ne désemplissait pas et les clients patientaient à l’extérieur, « c’était les années de gloire pour notre boutique ». Le quartier de la Baixa Pombaline était entièrement dédié à la « conception », la Rua Agusta par exemple, vendait exclusivement de la soie et des fils de toutes sortes. S’y arrêter pour boire un café ou bien manger un pasteis de nata était tout simplement impensable.

Lorsque vous décidez de passer le seuil de la porte, vous y découvrez une petite boutique avec un imposant comptoir en bois au milieu et un mural de « gavetes » (tiroirs) qui regorgent de boutons de tous les styles. Vous éprouvez alors un sentiment familier, comme les fameuses boîtes à biscuits de nos grand-mères qui contenaient des boutons orphelins et des dés à coudre. Cette sensation est accentuée par la délicatesse et la gentillesse de Alfredo et de Sandra, sa collaboratrice. Par ailleurs, cette mercerie respire l’Histoire, et pour cause, elle se trouve juste au-dessus de ruines romaines.

Avec une un passé aussi riche, la mercerie Alexandre Bento fait rêver certains musées qui aimeraient bien détenir les livres de comptes et de commandes que garde Alfredo Ricardo précieusement dans un coffre-fort. En parcourant le manuscrit des commandes, le propriétaire raconte que parmi tous les fournisseurs de l’époque seul persiste l’un d’entre eux – la « Companhia de Linha – Boats & Clarks Limitada » – car depuis plusieurs années maintenant les usines ferment leurs portes les unes après les autres.

Lorsque vous continuez votre route en direction de la Praça do Municipio, en longeant les rails du tram 28, vous découvrirez au sol l’inscription « Retrozaria Adriano Coelho 121 -123 » faite avec les célèbres pavés portugais. Fondée en 1912, la mercerie Adriano Coelho est une affaire de famille. Les enfants du fondateur y travaillent jusqu’en 1978, puis Orlando Mateus et José Guilherme Pais reprennent la boutique. Cette mercerie recèle de trésors de la couture. Vous y retrouvez de la laine, du fil, des boutons, de la dentelle, de la broderie, des fermetures éclair, des boucles, du ruban, des aiguilles et bien d’autres articles pour l’artisanat. En plus de la vente au détail, certains petits travaux sont effectués dans l’arrière-boutique. Cette dernière ressemble à une bibliothèque de « matériaux précieux ». Parmi les pièces les plus raffinées, des boutons de strass façonnés à la main en Allemagne et à Porto qui se vendent aux modistes et aux amoureux des années folles.

Une particularité de la boutique se trouve au sol : les pierres utilisées sont les mêmes que celles de la « Sé », la cathédrale de Lisbonne. Car lors du tremblement de terre, la reconstruction du quartier s’est faite en utilisant les décombres trouvés. De plus, Adriano Coelho remporte certains titres au fil des années, comme celui du « Concurso de Mostras » (concours d’exposition) en 1933. Ces nombreux prix créent la fierté de l’établissement, José et Orlando les affichent dans l’arrière-boutique, à côté d’un ancien tableau reconstituant les différentes étapes de manufacture des fils à broder de l’entreprise D.M.C. Une entreprise française qui fournit la mercerie depuis plusieurs générations. C’est d’ailleurs le présentoir des fils à broder qui attire l’œil lorsqu’on pénètre dans la boutique : c’est une véritable palette de couleurs qui égaye les yeux.

Considérés comme des « musées avec accès sans billet » par la presse, la Rua da Conceição séduit les curieux et nous ouvre les portes d’antiquités que nous voyons plus souvent au cinéma qu’en réalité. Alors n’hésitez pas, offrez-vous une visite dans ces boutiques chargées d’histoire et rendons sa première place au patrimoine et aux savoir-faire.

Pauline Daly

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